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nous arriver. Il était facile de dire : Nous avons le corps de Mac Mahon, le corps de Douay, le corps de Failly, mais, pour qui voyait la réalité des choses, il était évident que ces corps-là étaient dans l’impossibilité de reprendre la campagne aussi rapidement[1]. » Général Chabaud-Latour : « Si les 140 000 hommes de Mac Mahon s’étaient repliés sur Paris, s’appuyant sur les forts, pouvant manœuvrer autour de Paris, pouvant occuper ces magnifiques positions de Châtillon et de Versailles où nous n’avons pu nous maintenir, la défense aurait été tout autre[2]. » Général Du Barail : « Si l’avis de l’Empereur et du maréchal avait été écouté, notre armée se serait repliée sur Paris, dont l’investissement serait devenu impossible. Les hommes, levés tumultueusement par un gouvernement d’avocats et d’ingénieurs, auraient été recueillis par des généraux éprouvés dans des cadres solides et bien instruits. En peu de temps, grâce à la facilité de notre race à se plier aux nécessités de la guerre, ils seraient devenus d’excellens soldats et les choses auraient été changées[3]. »

Le commandant des zouaves Hervé disait sur la route même, à un de ses jeunes engagés, Paul Déroulède : « Les Français devraient avoir le bon sens de comprendre que ce n’est point par fantaisie qu’on abandonne une partie de territoire à l’ennemi, mais par nécessité. Remporter la victoire n’importe où, n’importe quand, tout est là. Si nous continuons notre marche sur Metz, nous serons coupés en route, acculés à quelque bataille dont nous ne choisirons ni l’heure ni l’endroit et il y aura beaucoup de chances pour que ce soit encore une nouvelle défaite. » La colonne revenant sur ses pas et reprenant le chemin de l’Est, le commandant Hervé, navré, s’écria : « L’esprit de sagesse n’aura guère duré, c’est l’esprit de folie qui l’emporte. Dieu veuille que nous ne payions pas chèrement la faiblesse et l’er- reur de notre général en chef[4]. » — Le colonel Stoffel a écrit : « Il eût fallu reconnaître que rien de sérieux ne pourrait être entrepris avec les troupes agglomérées au camp de Châlons et que leur demander de débloquer le maréchal Bazaine, — ce qu’on eût à peine osé exiger, dans ces circonstances, d’une armée

  1. Déposition dans l’enquête sur le 4 septembre.
  2. Procès Trochu.
  3. Discours du 20 juillet 1890.
  4. Feuilles de route, p. 113-114.