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eussent été si lamentables ? Car si nous étions vaincus, soit dans l’une, soit dans l’autre des rencontres, Bazaine et Mac Mahon étaient perdus à la fois et du même coup. Le premier n’eût pas été sauvé et l’anéantissement du second eût été devancé de quelques jours.

Cette conception était radicalement fausse, impraticable, non pas audacieuse mais téméraire, folle, désastreuse. En la combattant, Trochu a fait preuve d’une remarquable loyauté, et certes, ce jour-là, il ne travailla pas au renversement de l’Empire.


XI

Palikao a cru accréditer ce forfait stratégique par l’outrecuidance. Il n’a pas craint d’écrire que son plan n’avait été blâmé que par « des stratégistes en chambre qui n’ont jamais commandé sur le terrain une manœuvre à quatre hommes et à un caporal[1]. » Il est facile de répondre à ce défi. « On s’accoutume, écrivait Mérimée, à l’idée de voir l’ennemi sous Paris, et les militaires n’hésitent pas à dire que, si on les attire là, les chances sont en notre faveur. » Quand les militaires apprirent que Mac Mahon marchait vers Bazaine, il n’y eut qu’un cri : « Nous sommes perdus ! » Et, depuis, presque tous l’ont répété sous une forme plus ou moins virulente. Le maréchal Le Bœuf : « Je croyais que l’armée de Châlons marcherait sur Paris et je crois encore que c’est ce qu’elle aurait dû faire[2]. » — Général Frossard : « J’étais à cent lieues de supposer qu’à moins de circonstances tout exceptionnelles et d’ordres spéciaux, notre seconde armée, la seule que nous puissions avoir, s’avancerait au milieu de trois armées victorieuses laissant Paris au dépourvu[3]. » — Général Le Brun : « J’ai été en position d’exprimer mon sentiment sur le mouvement dans le sens de Metz ; ce mouvement me paraissait extrêmement compromettant ; je ne le croyais pas basé sur les principes de la stratégie ; il ne tenait pas compte de notre infériorité numérique et laissait Paris livré à lui-même[4]. » — Général Schmitt : « Je considérais cette marche comme le plus grand des malheurs qui pût

  1. Déposition au procès Bazaine.
  2. Procès Bazaine.
  3. Procès Bazaine.
  4. Procès Trochu contre le Figaro.