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réduit en nombre. Notre armée refaite et accrue, l’investissement et le siège de Paris n’étaient plus à redouter, on reculerait, si c’était nécessaire, jusque vers Orléans, où on s’établirait sur une défensive provisoire. L’armée reconstituée, on eût passé à l’offensive, repris le magnifique plan de Napoléon en 1814 et sauvé l’armée de Bazaine sans exposer l’armée de Châlons au même sort.

Le récit d’état-major prussien, si réservé dans ses appréciations sur nos manœuvres, n’est pas moins explicite dans cette occasion que je viens de l’être. « Le parti le plus sûr, dit-il, était de rétrograder jusque dans le voisinage de la capitale ; puis, appuyé sur ses ouvrages et sur les immenses ressources qu’elle présentait, d’offrir la bataille dans les conditions les plus avantageuses. Dans l’hypothèse même d’un revers, l’armée française demeurait en mesure de se soustraire promptement à la poursuite du vainqueur ; quant à un investissement rigoureux ou à un blocus de Paris, il était à peine nécessaire d’y songer, devant la concentration sous ses murs d’une masse de plus de cent mille hommes de troupes de lignes[1]. » Cette retraite sur Paris n’impliquait pas l’abandon de Bazaine. En même temps que Mac Mahon eut couvert la capitale, on pouvait envoyer, dès qu’on se serait reconstitué, un corps d’armée par l’Est derrière l’ennemi et l’inquiéter sur ses communications, en même temps qu’on presserait Bazaine d’essayer de percer par le Sud.


X

Indépendamment de toutes les considérations générales, la situation particulière de l’armée de Châlons prescrivait impérieusement cette option du parti le plus sûr. Pour dresser un plan rationnel, il ne suffit pas de prendre un compas, de mesurer les distances sur la carte, et de prononcer ensuite que les possibilités abstraites deviendront des faits d’exécution contingente. L’élément variable, mobile qui échappe au calcul précis, le moral des hommes, est bien plus important à prendre en considération. Toutes les questions de grande tactique sont des problèmes physico-mathématiques indéterminés qui ne peuvent être résolus par des formules de géométrie élémentaire

  1. P. 905.