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obligées de se diviser pour avancer, de se glisser entre elles, de les battre successivement, de tomber sur le dos de l’armée qui investissait Metz, de débloquer Bazaine et, dans le cas où il se serait débloqué tout seul, de protéger son évasion, se réunir à lui en une masse qui se précipiterait sur l’ennemi et le mettrait en pièces.

Palikao adopta passionnément ce second parti. Il prouva par là son ignorance des principes de la grande guerre. La manœuvre qui consiste à amener sur un même théâtre d’opérations, afin qu’elles agissent de concert, deux armées séparées par des obstacles naturels ou par l’ennemi, a toujours été considérée comme une des plus risquées, même lorsque ces deux armées partent du même lieu et qu’elles ont pu concerter leurs marches. Le jeune Bonaparte l’apprit aux Autrichiens en écrasant successivement les colonnes de Wurmser et de Quasdanovich, qui se dirigeaient sur le Mincio par les deux rives du lac de Garde. Le grand Napoléon l’a appris à l’Univers par le désastre de Waterloo : lui et Grouchy, partis tous les deux de Sombrefle, marchaient concentriquement sur Bruxelles, l’un par les Quatre- Bras, l’autre par Wavre. Blücher et Wellington, prenant une ligne stratégique intérieure, se réunirent avant eux et Napoléon paya par une terrible défaite la violation des principes immuables de la guerre, dont il s’écartait peut-être pour la première fois.

En 1866, les Prussiens avaient renouvelé l’erreur de Wurmser et de Napoléon : elle leur avait réussi, grâce à l’ahurissement de Benedek. Sentant qu’ils avaient été plus heureux que sages, ils n’eurent garde de la recommencer en 1870 contre nous.

Lorsque deux armées sont éloignées l’une de l’autre, que leur point de départ est différent, leur manœuvre concentrique respective sur un point déterminé est plus que difficile, elle est téméraire. Jourdan et Moreau, en 1796, en firent l’expérience à nos dépens : selon le plan imposé par Carnot, ils partirent l’un de Dusseldorff, l’autre de Strasbourg, ayant entre eux l’armée de l’archiduc Charles et soixante lieues de pays. L’archiduc, par un coup de génie, digne des belles conceptions de Napoléon, laisse un rideau devant Moreau, court sur Jourdan, le bat à Wurtzbourg et le rejette au delà du Rhin. Moreau, isolé en Allemagne, est menacé d’être anéanti et ne sauve son armée que par la mémorable retraite qui a illustré son nom.

Le prudent Koutouzoff, à l’ordre reçu après l’incendie de