Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au camp, devenue plus complète encore depuis qu’il n’exerçait plus le commandement en chef. Il fit appel à son dévouement, disant qu’il n’avait ni le devoir vis-à-vis de lui-même, ni le droit vis-à-vis de lui et du pays de refuser de rendre ce service, et il ajouta : « Du reste, tu ne me quittes que pour quelques jours ; si ta mission ne réussit pas, tu me rejoindras. Les projets de Mac Mahon sont bien arrêtés : l’armée se retire sur Paris par les places du Nord. C’est sous Paris que nous livrerons probablement une bataille décisive et, d’ici là, tu seras de retour. » Malgré son respect, le prince fit observer que l’Empereur ne commandant plus l’armée, son chef militaire était Mac Mahon, et qu’il fallait un ordre de lui. « Qu’à cela ne tienne, répondit l’Empereur, tu vas l’avoir. » Tel fut cet ordre : — « S. A. I. le prince Napoléon est chargé par l’Empereur d’une mission spéciale. Toutes les autorités civiles et militaires sont invitées à lui en faciliter l’accomplissement en mettant à sa disposition tous les moyens dont il pourrait avoir besoin. — Au quartier général du camp de Châlons, le 19 août 1870. Le maréchal commandant en chef, Maréchal de MAC MAHON. »

L’Empereur engagea vivement le prince à ne point passer par Paris : « Je ne suis pas sûr, dit-il, que le gouvernement de l’Impératrice ne soit pas très mal pour toi. » Il sembla même craindre que, s’il s’y rendait, on ne le fit enfermer à Vincennes. Le prince Napoléon quitta l’Empereur en lui disant : « Vous aurez mon dévouement jusqu’au bout, mais vous tout seul. » Les instructions du prince l’autorisaient à aller jusqu’à l’abandon de Rome au roi d’Italie, en retour d’un secours matériel.

La mission donnée au prince Napoléon par l’Empereur, en dehors de tous, fut une surprise aussi désagréable aux ministres que l’avaient été la nomination et l’arrivée de Trochu. C’était évidemment une incohérence de plus dans une situation de fond en comble incohérente. L’Empereur, placé en dehors du gouvernement, avait accepté son exclusion. Cependant il accomplit un acte gouvernemental accentué et à l’insu de ses ministres, en nommant un négociateur d’alliance. Les ministres de la Régence, décidés à ne s’émouvoir de quoi que ce soit et à laisser les événemens au hasard, ne s’arrêtèrent pas à cette irrégularité. Le ministre des Affaires étrangères, La Tour d’Auvergne, y fut seul sensible : il s’inquiéta d’une action diplomatique qui allait s’exercer en dehors de la sienne et dans un