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VI

Il dépendait cependant de l’Empereur de ne pas subir cette déposition et, d’un mot, de faire rentrer dans l’ombre tous ceux qui l’immolaient à leur pusillanimité. Il était le maître plébiscitaire de l’Etat ; c’est lui qui avait institué la Régence et qui pouvait la détruire par un simple décret. Il n’avait qu’à rentrer dans Paris et dire : Me voilà ! Et devant son pouvoir, tout autre se serait évanoui. Il n’y songe pas. Martyr du patriotisme, il se sacrifie à ce qu’on lui dit être l’intérêt national. On lui affirme que la défense du pays sera plus efficace s’il ne la dirige plus, il se soumet ; on lui dit que le génie militaire de Palikao, s’il n’est pas gêné par lui, va nous ramener la victoire, il se soumet ; on lui dit que son immolation apaisera la haine des révolutionnaires, il se soumet. Le 18 août, il adhère à sa déposition, il télégraphie à l’Impératrice : « Je me rends à votre opinion. » (9 h. 14 du matin.)

Un dernier sacrifice, qu’on ne pouvait lui imposer et dont il appartenait à lui seul de prendre l’initiative, était ardemment désiré : on eût voulu qu’à la première bataille, il sortit de son fourgon d’Empereur déposé, et vînt se faire fusiller par les balles ennemies ; il eût ainsi ennobli sa dynastie d’une légende de martyre à défaut d’une légende de gloire. À ce moment, l’impopularité du malheureux souverain était à son comble dans le parti impérialiste. Rattachant, par les récriminations, le présent au passé, on attribuait les malheurs du moment à la détestable politique qui avait fait la guerre d’Italie et facilité celle de 1866 ; c’était un rêveur qui avait sacrifié l’intérêt français au principe chimérique des nationalités, d’autres ajoutaient : l’industrie française à la concurrence anglaise. On ne lui pardonnait pas surtout d’avoir détruit la Constitution de 1852, renoncé aux candidatures officielles, rétabli le fatal parlementarisme et mis de côté un aussi grand ministre que Rouher pour se confier à des libéraux dont le meilleur ne valait guère. On lui pardonnait encore moins les échecs qu’on attribuait à son incapacité militaire ou à l’imprévoyance de sa préparation. Il n’était plus dans l’Empire qu’une faiblesse et on considérait comme heureux tout événement qui débarrasserait de lui. Alors, avec la Régence, replacée sous la direction de Rouher, reparaîtraient les beaux