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commencement de l’Empire, avait assisté à toutes les entrevues de l’Empereur avec son peuple, savait bien les liens intimes qui existaient entre eux et il a prononcé le mot définitif lorsqu’il a dit : « Cette force était si grande que les plus sages n’en osaient soupçonner la fin. Je reste convaincu que, si l’Empereur était revenu de Châlons à Paris, au lieu de s’engouffrer à Sedan, il eût sauvé encore le pays et son trône. Qu’auraient pesé auprès de lui les Trochu, les Glais-Bizoin, les Jules Favre, lorsqu’il serait venu, à la tête des débris glorieux de son armée, faire appel a un suprême effort ? Lorsque je songe à ce qui aurait pu être et à ce qui a été, je pleure des larmes amères ! J’étais en Russie alors, maintenu à mon poste par ordre ministériel. Je ne me consolerai jamais de n’avoir pu rejoindre l’Empereur. J’aurais tout fait pour le soustraire aux influences qui l’empêchèrent de rentrer à Paris. C’est Palikao et M. Rouher qui ont pu persuader au malheureux souverain que sa présence amènerait une révolution, que sa place était à la suite de l’armée qu’il ne commandait plus ! C’est ce gouvernement affolé qui, mû par un faux point d’honneur, a refusé à celui dont ils voulaient, disaient-ils, sauvegarder la dignité, la possibilité de combattre à son poste d’Empereur sur les remparts de sa capitale[1]. »

Mais ni Rouher, le conseiller politique de la Régente et encore moins Palikao, son conseiller militaire, n’étaient doués de cette perspicacité qui pénètre jusqu’aux profondeurs de l’âme populaire et ne sentaient ni l’un ni l’autre la vertu de talisman qu’en dépit de tous les revers gardait encore le nom de Napoléon. Dans la crainte que l’Empereur ne fût déshonore par ses ennemis, ils le déshonorèrent eux-mêmes. Dans la journée du 17 et dans la nuit du 17 au 18 août, ils le firent déposer par la Régente et de quelle cruelle manière ! Il avait été dégradé militairement deux fois, l’une le 13 août, quand le commandement de l’armée du Rhin lui fut enlevé et transféré à Bazaine ; l’autre, le 16 août, lorsque le commandement de l’armée de Châlons ne lui fut pas confié et fut attribué à Mac Mahon. Maintenant on le dégrade civiquement ; à la face de son peuple on le déclare incapable de gouverner l’Etat comme il l’avait été de conduire l’armée. Maintenant, il est exécuté, fini. Ses amis n’ont plus laissé rien à faire à ses ennemis. Oui, il faut verser des larmes amères.

  1. Souvenirs du général Fleury, t. I, p. 202.