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Un fait vraiment providentiel, si on avait su en comprendre la signification, le démontra. Les révolutionnaires, particulièrement le groupe blanquiste, étaient révoltés des atermoiemens de la Gauche. Aux prudens qui soutenaient qu’une nouvelle défaite était nécessaire, ils répondaient par l’axiome de Félix Pyat : « Jamais on ne réussit à renverser un gouvernement du premier coup. On n’y arrive qu’en renouvelant souvent la tentative. Par conséquent, il importait de se mettre à la besogne le plus tôt possible. » Malgré tous les conseils, ils se mirent à la besogne et voulurent brusquer la crise par un coup de main. Un jeune démagogue plein de courage essaya « de galvaniser par un coup d’audace cette population énervée de vingt ans d’Empire[1]. » Un autre démagogue, Granger, possesseur de 18 000 francs, les donna pour organiser l’émeute.

Le dimanche 14, vers trois heures, une bande de cent individus, armés de revolvers et de poignards, se dirigeaient par petits groupes vers la caserne des pompiers située au boulevard delà Villette, près du pont-canal. Un bateleur, à quelques pas de la caserne, attirait les curieux ; le groupe se mêla à eux et put ainsi se concentrer sans éveiller les soupçons des sergens de ville. À trois heures et demie, Blanqui lui-même donna le signal. Le rassemblement se dirigea au petit pas, sans tumulte, vers la caserne. Une fraction se précipite sur le factionnaire en criant : Vive la république ! et lui demande son fusil. Le factionnaire refuse ; un des assaillans lui décharge à bout portant un coup de revolver, le renverse à terre, s’empare de son arme. Puis la bande entière se jette dans la cour de la caserne. Nottrez, le lieutenant des pompiers, s’avance vers les envahissans et leur dit : « Ces armes n’ont pas été confiées aux pompiers pour vous être remises ; vous êtes donc des assassins ? — Non, nous voulons aller au Corps législatif proclamer la république. » Le lieutenant dit alors à ses hommes : « Rangez-vous et faites feu. — C’est impossible, répondirent-ils, on nous a pris nos cartouches ce matin. — Alors, chargez à la baïonnette ! » À cette menace, la bande s’élança hors de la cour. Quelques sergens de ville survenus à la hâte, ayant voulu l’arrêter, les émeutiers déchargèrent leurs revolvers, tuèrent et blessèrent plusieurs agens et une petite fille, puis s’enfuirent sur les hauteurs de Belleville

  1. Flourens, Paris livré, p. 55.