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V

On le voit, l’Impératrice persistait plus que jamais dans son idée fixe d’empêcher le retour de l’Empereur. Très détachée sur tout le reste, dès qu’on abordait ce sujet elle bondissait comme une lionne blessée, elle n’entendait plus rien, et toute autre ardeur éteinte, elle retrouvait celle de repousser le seul moyen de salut qui lui restait, avec une véhémence désespérée. C’étaient toujours les mêmes raisonnemens : l’Empereur était près de ses soldats, partageant leurs fatigues et leurs dangers ; rentrer à Paris alors qu’on pouvait combattre encore en rase campagne, ne serait digne ni de son courage ni de son caractère : l’étonnement, le mécontentement public ne manqueraient pas de se manifester à son retour ; ne serait-ce pas d’ailleurs jeter un profond découragement dans les troupes que de les abandonner ? Et ne serait-il pas plus sage, à tous les points de vue, de rester avec elles ?

Phrases vides, déclamatoires, qu’en France nous sommes trop coutumiers de prendre pour des raisons et qui toutes contenaient une contre-vérité. Un souverain à l’armée partage parfois quelques-unes des fatigues de ses soldats, mais il n’est exposé à aucun de leurs périls. Le retour de l’Empereur à Paris n’eût pas causé d’étonnement, puisque le cri de la foule, dans la rue, dans les journaux, au Corps législatif, était : Qu’il revienne ! L’armée n’eût pas considéré comme un abandon qu’il s’éloignât d’elle, puisqu’elle jugeait sa présence un obstacle à la liberté des manœuvres qui pourraient amener la victoire.

Ce qui dominait surtout l’esprit de l’Impératrice c’était la conviction que l’Empereur ne serait pas en sûreté à Paris et que son retour serait le signal d’un soulèvement populaire sauvage ; ses rapports de police et, à ce qu’il parait, ses confidens, ses conseillers lui inspiraient ces terreurs. Les rapports de police disaient vrai ; seulement ils ne rendaient compte que des sentimens de la secte révolutionnaire, dont les menaces n’étaient guère redoutables, si on ne s’en effrayait pas, car elles n’étaient pas soutenues par la grande majorité de la nation et même du peuple parisien. Le 9 août, autour du Corps législatif, les émeutiers n’étaient pas plus de deux mille, conduits par deux cents chefs.