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et lui dit : « Vous savez la nouvelle ? Nous sommes perdus : un désastre sous Metz, l’armée est refoulée sur la ville et le général Coffinières demande de la poudre et des vivres. Que faut-il faire ? j’ai dit à l’Empereur qu’il n’y a pas à hésiter, qu’il faut partir pour Paris, convoquer les Chambres demain, leur dire que les succès de la campagne d’Italie l’avaient encouragé à se mettre à la tête de l’armée, qu’après un premier insuccès, voulant donner satisfaction à l’opinion, il avait résigné le commandement entre les mains de Bazaine, que ce dernier n’ayant pas été plus heureux que lui, il venait faire appel au patriotisme de la nation et abdiquer en faveur de son fils. » On s’étonne que le prince si lucide ait pu se rattacher, comme moyen de salut, à cet expédient de l’abdication. Le souvenir de 1815 aurait dû l’en détourner : l’abdication de Napoléon Ier au profit de son fils n’avait profité ni au père ni au fils, et pas davantage à la France. Dans les circonstances actuelles, une abdication eût été une flétrissure sans profit, que l’Empereur se fût infligée à lui-même après tant d’autres qui ne lui avaient pas été ménagées.

Castelnau répondit qu’il ne se reconnaissait pas la compétence de donner un avis sur une telle situation ; que l’Empereur ferait bien de rentrer à Paris le plus tôt possible, d’y précéder même la nouvelle, que là il pourrait mieux discerner le parti que les circonstances conseillaient. D’ailleurs, la dépêche, qu’ils allèrent relire ensemble dehors, ne parut pas à Castelnau aussi désespérée qu’au prince : elle jetait, il est vrai, un cri de détresse, mais en même temps elle présentait le combat comme ayant été heureux pour nous. Au moment du diner, une nouvelle dépêche, cette fois de Bazaine lui-même, expliquait plus complètement la journée. Elle disait (4 h. 28 soir) : « Hier au soir j’ai eu l’honneur d’écrire à Votre Majesté pour l’informer de la bataille soutenue de neuf heures du matin à neuf heures du soir contre l’armée prussienne qui nous attaquait dans nos positions de Doncourt à Vionville. L’ennemi a été repoussé et nous avons passé la nuit sur les positions conquises. — La grande consommation qui a été faite de munitions d’infanterie, d’artillerie, la seule journée de vivres qui restait aux hommes m’ont obligé de me rapprocher de Metz pour réapprovisionner le plus vite possible nos parcs et nos convois. J’ai établi l’armée du Rhin sur les positions comprises entre Saint-Privat-la-Montagne