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À cette confidence, Trochu entra dans une véritable fureur. Sa colère était bien légitime. « Tout est perdu, dit-il de nouveau. — C’est-à-dire que vous allez aider à renverser notre dynastie ? interrogea le prince Napoléon. — Non, je n’y aiderai pas, mais je ne la défendrai pas. » On ne parvint à le calmer qu’en maintenant en principe, malgré l’opposition de l’Impératrice, le plan adopté le matin. Il partirait immédiatement, il essayerait de convaincre la Régence ; le retour de l’Empereur à Paris ne serait que retardé et l’armée de Mac Mahon exécuterait son mouvement sur la capitale. On lui fit même la concession, qu’on lui avait refusée le matin, d’emmener avec lui les dix-huit bataillons de la Garde mobile. Cette autorisation ne fut donnée que verbalement. Elle n’était pas heureuse : en redoutant le retour de ces jeunes gens éventés, plus ou moins démoralisés par les mœurs faciles de Paris ou par les passions révolutionnaires, l’Empereur montrait plus d’instinct des réalités que Trochu. Encadrés par d’anciens soldats formés à la discipline, commandés par des officiers de métier, ces mobiles fassent devenus un des meilleurs élémens de l’armée ; plongés dans la fournaise parisienne, ils en deviendraient un des pires, et Trochu ne tarda pas, pendant le siège, à regretter son aveuglement.

Il partit après quatre heures. Les mobiles le suivirent, laissant leurs sacs aux soldats de Mac Mahon qui avaient perdu les leurs à Frœschwiller. « A la bonne heure ! criaient-ils, en recevant l’ordre de départ, assez de camp de Châlons ! Rentrons chez nous ! Vive Paris ! vive Trochu ! Il n’est que temps ! etc. »

Ce jour même, Mac Mahon reçut ses lettres de service comme commandant de l’armée de Châlons.

Peu après le départ de Trochu, à six heures, arrive la première nouvelle, par le général Coffinières, de la bataille de Rezonville, en réponse à une interrogation de l’Empereur. « De Metz, trois heures quinze soir. — Hier 16, il y a eu une affaire très sérieuse du côté de Gravelotte ; nous avons eu l’avantage dans le combat, mais nos pertes sont grandes. Le maréchal s’est concentré sur Metz et campe sur les hauteurs de Plappeville. Nous demandons du biscuit et de la poudre. Metz est à peu près bloqué. — COFFINIERES. »

Le prince Napoléon trouva cette dépêche mauvaise. Sous cette impression, il entre tout ému dans la chambre de Castelnau,