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que l’Empereur reprît le gouvernement avec sécurité, Trochu le précéderait de quelques heures et préparerait matériellement et moralement son arrivée.

S’étant mis ainsi d’accord, ils se rendirent auprès de l’Empereur, dès huit heures. Le général Berthaut, commandant des mobiles, avait été invité à se joindre à eux. Dans cette conférence, Mac Mahon et Trochu restèrent à peu près silencieux. Ce fut le général Schmitt qui aborda la question fondamentale, la position de l’Empereur. Il développa les idées adoptées dans la conversation préliminaire. « Je crois, Sire, dit-il en substance, que nous sommes dans une situation déplorable ; il y a à Metz une armée dont nous ne connaissons pas le sort, mais qui pourra se retirer par les places du Nord. Quant à l’armée qui est ici, elle est composée du corps d’armée du maréchal de Mac Mahon, formé de troupes diverses, du corps du général de Failly, très atteint dans son moral quoiqu’il n’ait pas combattu ; du 12e corps d’armée qui n’a de solide que son infanterie de marine, du corps d’armée du général Douay qui, de Belfort, pour nous rejoindre, devra faire un mouvement de flanc dangereux. On prétend que vous n’avez pas employé le général Trochu parce qu’on lui attribuait des sentimens d’opposition. Eh bien ! Sire, il faut rentrer à Paris et en nommer le général Trochu gouverneur. Le rôle que vous avez accepté ne peut continuer, vous n’êtes pas sur votre trône. — Oui, j’ai l’air d’avoir abdiqué, » dit l’Empereur.

Alors le prince Napoléon prit la parole et avec une fermeté de vues et une éloquence de langage irrésistibles, il développa les raisons qui militaient en faveur des conseils de Schmitt. Il se porta garant du général Trochu, et il termina en disant : « Vous avez abdiqué à Paris le gouvernement ; à Metz, vous venez d’abdiquer le commandement. À moins de passer en Belgique, il faut que vous repreniez l’un ou l’autre. Pour le commandement, c’est impossible. Pour le gouvernement, c’est difficile et périlleux, car il faut rentrer à Paris ; mais, diable ! si nous devons tomber, tombons au moins comme des hommes. »

L’Empereur, quoique ébranlé, éprouvait un malaise moral violent à se livrer à Trochu, qui lui inspirait une défiance instinctive. Prenant un prétexte quelconque, il attira le maréchal de Mac Mahon à part et lui demanda ce qu’il pensait du général.