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quartiers généraux, s’étaient rendus au camp, et y excitaient les indisciplinés. Le 3 août, Canrobert passant une revue de la garde mobile, s’était arrêté devant chaque compagnie des deux premiers bataillons, demandant aux soldats s’ils manquaient de quelque chose. Le 3e l’avait accueilli par les cris de : « A Paris ! à Paris ! » proférés par une trentaine de meneurs. — « Vous n’y pensez pas, répondit le maréchal, rouge de colère, vous ne pouvez rentrer à Paris maintenant, pas un de vous n’y consentirait. — Quelques voix : Mais si, parfaitement ! » Les cris redoublent, on chante : « A Paris ! » sur l’air des lampions. Ces meneurs arrêtés s’excusèrent en disant qu’ils n’avaient pas de quoi manger. L’autorité militaire veilla à ce que les distributions fussent faites régulièrement, et le tumulte s’était apaisé en apparence, mais les mobiles manifestaient hautement leur hostilité contre l’Empereur. « Ils inventèrent un mode de duo invectif où les chœurs savamment alternés d’une tente à l’autre ne permettaient de sévir contre personne. — Vive l’Empereur ! hurlait un premier groupe. — Cambronne ! répondait l’autre, et, de la gauche à la droite, l’ignoble plaisanterie roulait comme un tonnerre[1]. » Ils outrageaient au hasard et sans raison tout officier supérieur rencontré isolément ; les mutineries succédaient aux mutineries ; il fallut avoir recours au déplorable système des punitions collectives, qui rétablirent un peu la discipline, mais suscitèrent le mécontentement général. Chaque jour, des ballots de journaux démagogiques, auxquels un ministère aveugle laissait toute licence, arrivaient au camp et étaient répandus à profusion, même parmi les troupes régulières : Belleville descendait ainsi dans le camp de Châlons et lui communiquait ses détestables passions.

L’Empereur arriva en quelque sorte incognito. Il défendit qu’on lui rendit les honneurs militaires, et que fût hissé le drapeau signe de sa présence. Reconnu cependant, il fut entouré par des mobiles chantant : « Des lampions ! » et par des soldats criant : « Nous sommes prêts à nous faire tuer. » On vint annoncer au prince Napoléon que les mobiles tenaient de vilains propos et qu’on redoutait qu’ils ne tentassent pendant la nuit d’enlever l’Empereur. On prit en effet quelques précautions, mais aucune tentative ne fut faite.

  1. Déroulède Feuilles de route.