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la Porte se demande si elle n’a pas encore un rôle à jouer. Tout arrive, disait Talleyrand, le tout est de vivre : la Porte n’est pas encore tout à fait morte en Europe. Telle est la coalition qui, par la faute de la Bulgarie, s’est formée ou est en voie de se former contre elle. Une ictoire immédiate et écrasante aurait pu seule, peut-être, parer au péril qui en résulte pour elle, et sans doute la Bulgarie y comptait bien, car elle méprisait ses adversaires. La victoire attendue ne s’est pas encore produite. Alors la Bulgarie a proposé de s’arrêter, a demandé des interventions, un arbitrage, une médiation. Trop tard ! La Serbie et la Grèce ont rompu avec elle les relations diplomatiques, ce qui équivaut à une déclaration de guerre, et la Roumanie entre en scène. L’enthousiasme à Belgrade, à Athènes, à Bucarest est immense. À supposer qu’ils voulussent y résister, les gouvernemens seraient débordés, entraînés. Et pourtant, aujourd’hui que les prétentions de la Bulgarie seraient sans doute moins grandes et en tout cas que ses moyens, pour les soutenir, seraient sensiblement diminués, la sagesse serait de s’arrêter et de conclure. Mais la parole n’est pas aux sages, elle est aux violens.

Il faut d’ailleurs se rendre compte de la situation intérieure de la Roumanie : les derniers événemens l’ont assez sensiblement modifiée. La Roumanie est gouvernée depuis quarante-sept ans par un prince, et depuis vingt-sept, par un roi intelligent, habile, heureux, qui a largement contribué au développement économique, industriel, politique et moral du pays. Celui-ci, quel que soit l’avenir, ne saurait lui témoigner trop de reconnaissance pour le passé. Dans la politique étrangère en particulier, le roi Charles a montré une réelle supériorité, et le peuple roumain lui abandonnait volontiers la direction des affaires, persuadé qu’elles seraient toujours bien faites. Mais tout change avec le temps, et le peuple roumain se demande à présent si la politique qui a été suivie jusqu’ici est encore la meilleure à suivre désormais. Le roi Charles, qui appartient à la famille Hohenzollern, n’a pas oublié ses origines : aussi a-t-il été toujours considéré comme le représentant du germanisme en Orient et ses affinités politiques ont-elles incliné ses tendances du côté de la Triple-Alliance. L’Autriche étant devenue elle-même, depuis le traité de Berlin, un représentant de la même politique, l’entente entre Vienne et Bucarest a été bientôt un fait constant et patent. On s’était habitué à voir la Roumanie manœuvrer avec l’Autriche et avec l’Allemagne. Cette politique, qui a pu avoir sa justification, autrefois, dans des circonstances périmées depuis, soulève maintenant des critiques. La situation de