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Mais alors, que deviendrait l’équilibre balkanique ? Si les projets de la Bulgarie devaient se réaliser, la Roumanie verrait se former sur sa frontière méridionale une puissance redoutable par son étendue et son esprit de conquête : assisterait-elle impassible à l’événement ? Elle n’a pas cru le pouvoir, elle a mobilisé. Que fera-t-elle ultérieurement ? nous n’en savons rien ; entre ce qu’on dit un jour et ce qu’on fait le lendemain, il y a parfois quelque différence ; pour le moment, son langage est des plus corrects. La Roumanie continue d’invoquer, comme principe de sa politique, le maintien de l’équilibre, ce qui veut dire que si la Bulgarie échoue dans la réalisation de ses projets, elle n’aura peut-être rien à réclamer pour son propre compte ; mais que si la Bulgarie réussit, si elle est ictorieuse, si elle absorbe la Macédoine, une nouvelle et importante compensation lui sera due à elle-même : et pour être plus sûre de l’avoir, elle se dispose à la prendre.

Qui ne voit maintenant le danger, dont nous avons parlé plus haut, auquel la Bulgarie s’est exposée ? Vaincue, elle perdra une notable partie de la Macédoine. Victorieuse, elle perdra peut-être le quadrilatère : en tout cas, elle sera obligée de céder à la Roumanie autant de territoire qu’elle en aura conquis, sinon plus. Obligée, disons-nous, et en effet la Bulgarie, aujourd’hui, n’est pas de force à résister à la Roumanie qui a une armée toute fraîche, nombreuse, bien outillée, parfaitement organisée et qui, dans peu de jours, sera complètement sur pied. Encore si elle n’avait affaire qu’à la Roumanie ! Mais que d’ennemis, — mettons, si l’on veut, d’adversaires, — elle a ameutés contre elle ? La Serbie, la Grèce, la Roumanie, peut-être la Porte ! On commence à s’agiter à Constantinople ; on s’y demande si le dernier mot a été dit sur la guerre, puisque, aussitôt finie, elle recommence. La poUtique ottomane a toujours été amie des lenteurs parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver et que, dans les momens les plus difficiles, les plus désespérés même, une chance heureuse peut tout à coup surgir ? Pendant toute la durée de la guerre, la Porte s’est demandé anxieusement si cette chance ne surgirait pas ; elle n’ignorait pas à quel point les alliés se détestaient entre eux, beaucoup plus assurément qu’ils ne la détestaient elle-même ; quelque brusque rupture ne se ferait-elle donc pas entre Serbes et Bulgares, entre Bulgares et Grecs ? Elle ne s’est pas faite ; les alliés sont restés jusqu’au bout fidèles les uns aux autres, et la Porte a succombé. Mais ce qui ne s’est pas produit pendant la guerre a eu lieu immédiatement après ; les alliés sont devenus des ennemis et, quelque bas qu’elle soit tombée,