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moins fort qu’on ne le croyait, résultat fâcheux pour un gouvernement qui n’apprécie que la force et la met au-dessus de tout. Le prestige de la Bulgarie était grand ; il a baissé de plusieurs degrés dans l’estime du monde.

Nous ne raconterons pas les événemens militaires. Ils sont d’ailleurs encore trop confus pour qu’on puisse dire de quel côté la fortune inclinera définitivement sa balance. Mais les Serbes et les Grecs ont repris les positions qu’ils avaient perdues et ils soutiennent la lutte sans infériorité. Dans la colère, parfaitement légitime, du premier moment, les Grecs ont sommé de déposer les armes les Bulgares qui figuraient à côté d’eux dans l’occupation de Salonique. Les Bulgares s’y sont naturellement refusés, mais ils n’étaient pas en nombre et, après quelques heures de résistance, ils ont dû s’incliner devant l’emploi du canon. Les Grecs sont donc, pour le moment, les seuls maîtres de Salonique. Ce n’est d’ailleurs là qu’un incident dans une bataille qui se poursuit sur toute la ligne de front des trois armées. Le sang coule à flots. Les morts, les blessés, les prisonniers atteignent des chiffres très élevés. Lorsqu’on se bat entre frères ennemis, la fureur atteint tout de suite son maximum d’intensité. Les correspondances des journaux ne parlent que des atrocités qui ont été commises : elles sont épouvantables. On commence même à remonter plus haut et à avouer que, pendant la guerre contre les Turcs, ces atrocités ont atteint, notamment du côté bulgare, un niveau impressionnant. Malheureux pays que celui où le précepte de l’Évangile : Aimez-vous les uns les autres ! est remplacé par celui-ci : Massacrez-vous les uns les autres ! Il ne semble pas que la disparition du Turc modifie sensiblement des habitudes invétérées. Les principes d’humanité relative qui ont été introduits peu à peu dans la pratique de la guerre ne sont pas mieux respectés sur les bords du Vardar que les traités signés hier et dont l’encre n’est pas encore sèche. Aucune bonne foi, aucune loyauté. La première impression qu’on a éprouvée en Europe, à la nouvelle des événemens balkaniques, a été, — et nous souhaitons qu’on y persiste, — que, puisqu’il avait été impossible d’empêcher Bulgares, Serbes et Grecs de se jeter les uns sur les autres et de s’aborder à la baïonnette, il n’y avait qu’à les laisser s’entr’égorger en attendant le moment d’intervenir, soit entre un vainqueur et un vaincu, soit entre des adversaires également fatigués et épuisés. Avant tout, il fallait éviter que la guerre ne se généralisât, c’est-à-dire que les grandes Puissances ne fussent entraînées à y prendre part. Pendant la guerre des alliés balkaniques contre les Turcs, l’Europe est parvenue à loca-