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Dire que l’événement était inévitable dans un temps donné n’est pas l’excuser, ni encore moins justifier la manière dont il a fait explosion. Nous avons vu bien des violations plus ou moins odieuses du droit des gens : aucune ne l’est plus que la perfide agression des Bulgares contre les Serbes et les Grecs, et malheureusement, il n’y a pas de doute que le coup n’a eu rien de spontané ; il a été préparé de longue main, calculé avec soin, exécuté avec audace. Cependant les négociations continuaient et les divers gouvernemens se tournaient tous du côté de Saint-Pétersbourg où ils semblaient voir, dans l’empereur Nicolas, l’arbitre de leurs différends. Après avoir longtemps discuté et disputé, ils en étaient venus au point d’accepter, ou peu s’en fallait, l’arbitrage sans conditions : les engagemens antérieurs seraient, disait-on, interprétés largement. On en était là, les apparences étaient favorables, le calme était presque revenu dans les esprits, lorsque, subitement, l’armée bulgare a attaqué les armées serbe et grecque au point précis où avait eu beu leur jonction et avec l’intention évidente de les séparer. Les fusils ne sont pas partis tout seuls ; ceux qui les ont tirés savaient fort bien ce qu’ils faisaient ; ils avaient choisi l’endroit et l’heure de leur agression. On a besoin de se rappeler le mot de Bismarck, que l’indignation n’est pas un sentiment diplomatique, pour ne pas s’y livrer tout entier. Nul ne peut prédire quelle sera la suite des événemens, comment ils se dérouleront, à quoi ils aboutiront ; mais, quel qu’en soit le dénouement, l’acte initial du gouvernement et de l’armée bulgares restera sur eux une tache qui ne s’effacera pas aisément. Hier encore, les Bulgares étaient les héros des Balkans ; on admirait ce petit peuple, si courageux, si énergique ; on applaudissait son roi, si habile, si perspicace, si opportun dans ses déterminations. Que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ? On aurait tort sans doute, après avoir exagéré dans un sens, d’exagérer dans l’autre. La Bulgarie demeurera toujours un des facteurs essentiels de la politique des Balkans ; mais la légende chevaleresque qu’on lui avait faite est dissipée. À travers le soldat tenace et intrépide qui conserve ses qualités, on a aperçu le politique sournois et cauteleux qui ne connaît aucun scrupule et dont il faut se défier. En tout cas, — et sur ce point, dans la morale qu’il s’est faite, le gouvernement bulgare sera sans doute d’accord avec nous, — quand on tente un coup de main comme le sien, il faut le réussir et, jusqu’ici, le gouverment bulgare ne l’a pas réussi du tout. En quelque quarante-huit heures, il a, sinon perdu, au moins compromis la situation admirable qu’n avait dans les Balkans et en Europe. On s’est aperçu qu’il était