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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




Nos lecteurs ont été sans doute plus affligés que surpris des nouveaux incidens balkaniques. Ils présentent l’humanité sous un triste jour, mais ils sont logiques, et, s’ils ne s’étaient pas produits aujourd’hui, ils l’auraient fait demain, ou après-demain. L’imagination populaire, qui a chez nous la puissante, mais décevante faculté de voir les choses comme elle les désire, avait inventé des alliés de fantaisie qu’une aspiration commune, généreuse et libératrice, avait tournés et précipités contre la Turquie dans une nouvelle croisade en vue de l’affranchissement de la Macédoine. Croisade si l’on veut ; celles d’autrefois n’ont pas été non plus toujours édifiantes ; mais les croisés du xie siècle ignoraient, en partant pour la Terre Sainte, quels sentimens encore obscurs l’intervention de la politique développerait en eux, tandis que les croisés du xxe savaient fort bien d’avance ce que deviendrait leur alliance, dès qu’ils seraient en présence d’un butin à se partager. Ils avaient les uns pour les autres une haine historique, atavique, des mieux conditionnées, qui devait se traduire, à la première occasion, en un conflit sanglant. La seule question était de savoir si l’événement fatal ferait explosion tout de suite ou un peu plus tard. Il y avait des présomptions dans un sens et dans l’autre ; en fin de compte, l’impatience bulgare l’a emporté ; le choc s’est produit, et la belle, mais complaisante idylle, dans laquelle les esprits s’étaient naïvement complu, s’est dissipée du jour au lendemain. Les libérateurs de la Macédoine s’en disputent les morceaux, et Salomon lui même aurait de la peine à prononcer entre eux sa sentence, car, aussi bien les uns que les autres, ils aimeraient mieux que la proie fût anéantie qu’attribuée à l’ennemi. Le mot d’ennemi est, en effet, celui qu’ils emploient pour se désigner mutuellement.