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protecteur de cette duplicité, de cette hypocrisie dont nous sentons qu’il le soupçonne au secret de son cœur ! L’admiration respectueuse, — et décidément invincible, — qu’il devine chez sa « fiancée » à l’égard de l’auguste rempart du « libéralisme » suffirait pour l’empêcher d’aller trop loin, dans l’expression de sa pensée intime. Le prince que nous révèlent ses lettres est simplement une espèce de niais, un pauvre homme bien incapable de toutes les belles aspirations qu’on lui prête, et n’ayant jamais vu, dans son timide « libéralisme, » qu’une occasion de se rendre populaire à peu de frais. « Mes observations personnelles touchant la personne du défunt Empereur, écrit-il, forment un contraste violent avec l’image qu’a fait naître, dans le cœur des Allemands, leur besoin instinctif de se créer des figures idéales qu’ils puissent vénérer et aimer. » Ou bien encore, à propos des flatteries qui doivent entourer le jeune empereur Guillaume au début de son règne : « Son pauvre père, lui, manquait tout à fait du don précieux de l’indépendance intérieure ; et toujours il éprouvait une impression de désarroi en présence de la moindre suggestion nouvelle. » Le vieux romancier ne se souvient-il pas d’avoir reconnu, chez le « malheureux » prince, jusqu’à des traces de cette « religiosité » qui est, à ses yeux, le signe infaillible de la débilité d’esprit ? « Il y avait chez lui une petite piété à la manière de ses ancêtres ; et l’influence d’un croyant aurait risqué de le faire tomber entièrement dans la rêvasserie religieuse. » Il affirme que, depuis la disgrâce de l’un des conseillers du prince, écarté d’auprès de lui par la jalousie et la rancune de la princesse, « le pauvre Frédéric n’a plus cessé de s’agiter dans le vide, sans savoir à quelle branche s’accrocher. » Et aussi Freytag, qui, d’autre part, se croit tenu de rendre compte à « son peuple » de ses relations avec l’empereur Frédéric, se demande-t-il s’il lui sera jamais possible d’ « écrire sur le prince quelque chose qui soit pleinement vrai, et qui, pourtant, ne blesse pas les sentimens enthousiastes du lecteur allemand ? »

Cette nuance de mépris mêlé de pitié se retrouve, tout au long du volume, chaque fois que le romancier a l’occasion de mentionner l’empereur défunt. Écoutons-le parler à « son Use » d’un bruit suivant lequel le prince aurait laissé 37 gros cahiers de notes ou de souvenirs personnels :


Il se pourrait que l’histoire renfermât une part de vérité : mais 37 volumes de mémoires, jamais le prince n’aurait pu les écrire ! Je connais d’ailleurs certains morceaux du recueil, et je ne crois pas qu’il s’y trouve rien d’intime touchant la femme du prince : car il ne faisait aucunement secret de ces cahiers, et employait un secrétaire pour les rédiger. A