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a désormais dépouillé ce que j’appellerais sa livrée littéraire. Jugeant son œuvre achevée, il s’est senti le droit de ne plus s’occuper des destinées d’un art qui, de tout temps, n’avait été pour lui qu’une « profession, » — après avoir d’ailleurs apporté à l’exercice de cette profession tout le zèle d’un honnête et scrupuleux artisan, pendant les longues années de son « activité. » Un écrivain définitivement « retiré » de la littérature, c’est ce que nous apparaît maintenant l’ancien auteur de Doit et Avoir ; et comme il n’a emporté dans sa « retraite » que l’abondante série de ses propres œuvres, Use trouve que celles-ci lui tiennent lieu du reste des productions du génie humain. A chaque instant le vieillard cite des passages de ses romans ou de ses drames, y choisit des points de comparaison avec les hommes ou les choses de la réalité présente, ou bien encore s’ingénie à en rappeler l’éminente portée historique.


Le seul sujet qui dorénavant l’intéresse, en dehors de sa passion amoureuse, est la politique ; et c’est aussi au contenu politique de ses lettres que le volume publié par Mlle Hermance Strakosch doit une bonne partie de l’émotion qu’il a provoquée dans toute l’Allemagne. Admis autrefois dans l’intimité du prince Ernest de Cobourg-Gotha, en effet, Freytag a été amené de nouveau à rechercher sa faveur lorsqu’il a résolu d’obtenir que le vieux prince, usant à son propos d’une prérogative féodale de ses ancêtres, décrétât l’annulation de son mariage avec sa seconde femme. De là maintes visites et maints entretiens au cours desquels notre amoureux a eu l’occasion d’apprendre une foule de petits détails curieux, notamment sur le renvoi de Bismarck et sur tous les premiers actes du jeune empereur. Le prince de Cobourg lui a raconté, par exemple, que c’est à lui que l’Empereur a confié la délicate mission de tenter une démarche suprême auprès de Bismarck, pour éviter l’éclat d’une rupture ouverte.


Cette rupture, d’après ce que m’a expliqué le grand-duc, n’est point venue de tel ou tel dissentiment particulier, mais bien d’un profond conflit touchant la suprématie. L’Empereur s’est plaint au grand-duc de ce que Bismarck se fût terré pendant trois mois à Varzin, sans vouloir écouter l’invitation que lui faisait son maître de rentrer à Berlin pour y traiter avec lui de choses importantes, et sans même prendre la peine de répondre à l’un de ces appels impériaux. Bismarck a accueilli le grand-duc avec des embrassemens et des larmes ; il pleurait comme un enfant. Mais quand son visiteur lui a exposé les griefs de l’Empereur, il a répondu que sous Guillaume Ier il s’était accoutumé à laisser mûrir longuement les choses dans sa tête, et qu’à plus d’une reprise il lui avait fallu méditer ainsi pendant