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d’une « fiancée » acquise moyennant un double divorce. Je dirai plus : il n’y a pas jusqu’à la renommée purement « littéraire » de Gustave Freytag qui ne risque d’être fâcheusement dessertie par la publication de ses Lettres à sa Femme. Car, en premier lieu, on ne saurait se figurer l’étonnante et navrante sécheresse d’esprit que révèlent ces lettres enflammées d’amour. Lorsque le tendre « fiancé » septuagénaire a achevé de débiter sa ration quotidienne de baisers, de complimens, et d’allégories, nous le voyons fort embarrassé de remplir de sujets moins « brûlans » le reste de sa feuille ; et c’est d’une manière quasi invariable qu’il en vient, dans cette partie « profane » de ses lettres, à analyser brièvement le contenu de son « courrier » du matin. De jour en jour, il détaille à « son Ilse » les lettres qu’il a reçues et ce qu’il y a répondu. Avec cela, toujours cette absence totale, — anormale, — de « poésie » qui déjà se révélait à nous dans les romans et les autres écrits publics de l’auteur de Doit et Avoir. Croirait-on que ce descendant d’une longue lignée de pasteurs s’alarme de découvrir, chez son unique fils, des « besoins religieux ? » Là encore, peut-être s’est-il laissé imprégner des opinions « libérales » de Mme Strakosch, dont sa fille nous informe qu’elle « n’avait jamais voulu croire à la chimère d’une vie future ? » Mais le fait est qu’il parle à sa fiancée, avec une inquiétude manifeste, de l’inquiétude que lui causent ces « besoins religieux » de son fils. « J’ai du moins l’espoir, — ajoute-t-il, — que, avec l’éducation donnée à mon jeune Gustave, cette religiosité ne pourra pas exercer sur lui une influence trop funeste. Car la formation historique des enfans, telle qu’ils la reçoivent dans les lycées, est toujours défavorable à toute rêvasserie confessionnelle, même chez les natures les plus sentimentales. »

Un autre des traits caractéristiques du vieux romancier allemand est son indifférence, — ou plutôt même son aversion, — pour la littérature sous toutes ses formes. Jamais Freytag, dans ses entretiens intimes avec sa « fiancée, » ne s’arrête volontiers sur l’œuvre d’aucun de ses confrères, anciens ou récens. Vainement on chercherait à travers le gros volume la moindre mention des noms glorieux d’un Lessing ou d’un Schiller, non plus que de l’un quelconque des grands conteurs allemands du XIXe siècle, tels qu’un Gottfried Keller ou un Fritz Reuter, un Théodore Fontane ou un Conrad Ferdinand Meyer. Gœthe lui-même ne figure, dans le volume, qu’à propos de ses relations avec Mme de Stein, et de ce que ces relations du poète, comme je l’ai dit, ont eu d’inférieur en beauté (mais surtout en agrément sensuel) auprès de celles de Freytag avec Mme Strakosch. Évidemment, le vieillard