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Et voici enfin ce que nous lisons dans une lettre du 19 juin 1886 :


Conserver mes chères relations avec mon amie, c’est dorénavant mon principal souci ; mais les conserver de telle manière qu’elles soient également, pour l’amie de mon cœur, un profit et non pas un dommage. Or ces relations ne peuvent absolument se prolonger que si, d’autre part, mon amie continue à demeurer dans des relations saines et normales avec tout ce qui fait d’elle madame la Professeuse et la mère de ses enfans. Un transfert de sa vie dans mon ménage, à moi, serait naturellement chose impossible, et signifierait sans faute la mort de notre chaud penchant réciproque. Que si mon amie, dans sa tendre exaltation d’à présent, fait peu de cas de tout ce qu’elle devrait sacrifier, de sa réputation, de sa famille, de l’estime qu’elle s’est acquise en maints endroits, c’est à moi que revient le devoir de mieux apprécier ces fondemens de son existence... Je veux et je dois continuer à avoir d’elle une haute idée. A quoi j’ajouterai que. moi-même, je me trouve lié d’une manière indissoluble.


Ainsi les premières lettres de Freytag nous font entendre maints échos d’une résistance loyale, qui démentent ce que sembleraient avoir déjà de trop docile ces mots de la mémorable lettre du 5 décembre 1885 : « Tout arrivera comme tu le désires ! » Mais non seulement toutes choses, nous le savons maintenant, ont fini par « arriver comme les désirait » Mme Strakosch : le fait est que celle-ci est même parvenue très rapidement, et sans la moindre peine, à vaincre ces scrupules initiaux de son vieil amoureux. Depuis la visite suivante des Strakosch à Wiesbade, surtout, nous sentons que Freytag a décidément cessé de lutter. Ses lettres sont désormais remplies d’allusions aux jouissances que lui vaudra son union plus ou moins prochaine avec la femme du conférencier viennois, lorsque lui-même et elle auront réussi à se délivrer de leurs « entraves » présentes ; et à tout moment des notes de Mlle Hermance Strakosch nous apprennent que tel ou tel sobriquet, dans les lettres du vieillard, désignent le rival qu’il s’agit d’évincer, tout de même que l’expression : « la malade » signifie la seconde femme de Freytag, dont il importe aussi que l’on se débarrasse. Sur quoi nous avons beau reconnaître, au fond de toute l’aventure, l’habile main d’une jeune femme qui s’est promis de ne rien négliger, — ni, non plus, de ne reculer devant rien, — pour atteindre ses fins : nous n’en éprouvons pas moins l’impression que Gustave Freytag aurait dû apporter un peu plus d’énergie à une sorte de conflit amoureux où se trouvaient en jeu sa propre gloire et le bonheur futur d’une nichée d enfans. « Un de ces êtres d’exception qui vivent un peu pour soi-même, un peu pour leurs amis, mais bien plus encore