Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il se lève, il reçoit, il se promène et il se couche en redingote de couleur brune ! Pour l’après-midi comme pour le matin, pour déjeuner, pour aller au Bois, il n’a toujours que la même redingote à tout faire. Ce n’est qu’un détail ; mais tout est à l’avenant. Or le Gendre de M. Poirier est une des pièces qui ont été jouées à la Comédie-Française avec le plus de soin, et interprétées avec le plus d’éclat. Mes souvenirs ne remontent pas plus haut que 1875. C’était Got, en ce temps-là, qui jouait M. Poirier ; il y était admirable : il a, une fois pour toutes, marqué le rôle de sa rude et vigoureuse empreinte. Delaunay était le marquis de Presles ; on lui reprochait de manquer de distinction ; mais je n’ai jamais oublié de quel accent il disait la fameuse tirade : « Arrive donc ! Hector, arrive donc ! Sais-tu pourquoi Jean-Gaston de Presles a reçu trois coups d’arquebuse à la bataille d’Ivry ?.. » Cela prenait une grandeur, une envolée superbe ; on sentait bien que lui aussi, l’occasion venue, le descendant de ces preux aurait eu même courage : et c’est tout le rôle. Croizette était une Antoinette Poirier de haut style. M. de Féraudy, qui a un si beau talent et qui a souvent mérité d’être comparé à Got, fait de Poirier une ganache. Il le joue sans conviction, sans sincérité, sans étude, comme cela vient : il n’y met aucun amour-propre. Ce n’est pas assez. M. Raphaël Duflos, en marquis de Presles, est la froideur et la banalité elles-mêmes. Mlle Piérat, dans le rôle d’Antoinette, n’est que sécheresse et raideur. M. Truffier, en Vatel, semble un magister de village plutôt qu’un cuisinier. Les autres sont quelconques... Cela n’est pas digne de la Comédie, et je tiens à le déclarer en raison même de l’attachement que j’ai et que nous avons tous pour la grande maison. Elle n’est la grande maison que parce qu’elle joue le répertoire, le répertoire moderne comme l’ancien, celui d’Augier et de Dumas comme celui de Molière et de Racine. Elle se doit à elle-même, elle doit à son passé et à son nom de veiller à ce que des pièces justement fameuses soient sans cesse étudiées, remises à la scène avec un soin scrupuleux. Et ceux des artistes qui ont l’honneur de se montrer dans ces rôles n’ont pas fait tout leur devoir, s’ils n’ont essayé, dans la mesure de leurs forces, de se mesurer avec les plus illustres de leurs anciens.


RENE DOUMIC.