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le gros dos, il joue une comédie, il tend un piège. Autre trait de caractère. S’il est rusé, d’autre part et pour le moins autant, il est violent. C’est là le fond de sa nature : l’origine « peuple » n’est pas loin. Cette violence, à un certain moment, l’emporte sur le calcul et renverse tout l’échafaudage de sa diplomatie. « Ah ! mais, il m’ennuie, mon gendre ! » Son sang n’a fait qu’un tour. Rendu à son véritable tempérament, de patelin, il redevient ce qu’il a toujours été, dans son intérieur comme dans sa maison de commerce, impérieux, autoritaire : « J’ai décidé, arrêté, ordonné... » Enfin, ce qui l’achève de peindre, il a de l’esprit. L’esprit ! Vous seriez tenté de croire que Gaston de Presles, léger, brillant, piaffant, a pris pour lui tout ce qu’il pouvait y en avoir dans la maison et dans la pièce. Quelle erreur ! Il n’a, le joli marquis, que cette sorte d’esprit superficiel qui est l’impertinence. M. Poirier en a un autre, et de meilleure qualité, solide, résistant, à toute épreuve, comme les draps que vendait ce loyal commerçant et dont on ne voyait pas la fin. Le moyen de croire, en effet, que ce bourgeois de Paris, de la même bourgeoisie parisienne d’où sont sortis Boileau, Molière, Regnard et Voltaire, ne soit qu’une bête ! Son esprit est à base de bon sens, comme celui de nos pères. Il est caustique et affecte la forme d’une ironie triviale, mais puissante. C’est la boutade assénée en coup de boutoir ; c’est la réplique qui rive le clou. « Bien répliqué, monsieur ! » ne peut s’empêcher de lui dire le duc de Montmeyran. A se heurter contre un si fort jouteur, son marquis de gendre est vaincu d’avance. Le fait est que la victoire lui reste et sur toute la ligne. « Je serai député de l’arrondissement de Presles en quarante-sept et pair de France en quarante-huit. » Il l’aurait été si, cette année-là justement, on n’avait cessé de faire des pairs de France. Cela seul avait échappé à ses prévisions : que le régime, dont il est le représentant si accompli, pût disparaître. En France, il faut toujours compter avec une révolution.

Si charmant qu’il puisse être, et c’est un des plus gracieux du répertoire moderne, le rôle du marquis de Presles est un rôle sacrifié. C’est le petit-maître corrigé, c’est l’écolier qu’on met en pénitence et qui demande pardon. D’un bout à l’autre de la pièce, il est dans une situation par trop humiliée. On lui a donné une femme avec un million de dot, mais c’est pour le lui rappeler sans cesse. Cette bourgeoisie, à laquelle il s’est mésallie, il en est entouré, enveloppé, inondé et noyé. Ce n’est pas assez qu’il soit condamné au régime du beau-père quotidien, on y ajoute Verdelet. On fait pot-bouille ensemble. La situation est intenable. Nous comprenons que ce gentilhomme