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périodes qu’il y ait dans l’histoire de la comédie en France. Puisqu’il a été, en ces derniers temps, décrié, mais non remplacé, profitons de l’occasion qui nous est offerte pour rappeler ce qui en fit la valeur et qui reste pour les auteurs d’aujourd’hui un modèle et un enseignement.

Avant tout, il fallait réagir contre la manière de Scribe, qui consistait à tout sacrifier à l’intrigue. On prenait une historiette et on la machinait en cinq actes. Au contraire, ce qui frappe ici, c’est la simplicité de l’action. La part de l’imprévu, de l’accident, du hasard, est réduite au minimum. Tout découle du caractère des personnages et de leur situation initiale. Rien ne leur arrive qui ne dût leur arriver, qui ne fût entre eux naturel, logique, ordinaire et quotidien. M. Poirier a pris pour gendre un prodigue et un libertin : les incidens de la pièce résulteront uniquement de cette prodigalité et de ce libertinage. Le progrès de l’action est fourni par le développement des caractères, et de telle sorte que chaque caractère aille jusqu’au bout de lui-même. M. Poirier est ambitieux : peu à peu nous le verrons démasquer ses batteries, découvrir son jeu, jusqu’à ce qu’il nous livre son arrière-pensée, son secret, le dernier mot de ses plus machiavéliques combinaisons. Gaston de Presles est petit-maître ; il faut qu’il arrive à ces fins de la vie d’un petit-maître : un rendez-vous et un duel. Antoinette est un type d’héroïne bourgeoise ; insensiblement, on l’amènera à ce suprême effort de vertu et d’abnégation : envoyer son mari se battre pour une maîtresse. Non seulement l’action sort des caractères, mais elle emprunte d’eux seuls toute sa raison d’être. Elle n’a pas d’intérêt ni de valeur par elle-même, et la preuve en est que peu nous importe le dénouement. Quand nous savons suffisamment ce que c’est qu’un bourgeois entiché de noblesse, un noble embourgeoisé, une honnête femme amoureuse de son mari, la pièce est terminée. Molière ne faisait pas autrement ; on s’est évertué à expliquer, justifier, magnifier ses dénouemens : la vérité est qu’il ne s’en souciait pas et courait au mot de la fin.

L’étude de mœurs, dans la comédie de mœurs d’Augier, prend toute la place dont l’intrigue à la manière de Scribe a été dépossédée. Cela même fait que la pièce date. On note au passage plus d’un trait qui fait sourire. Gaston de Presles se vante de mener un train de prince, et il a vingt-cinq mille livres de rentes ! Je sais bien qu’il est logé et nourri par son beau-père ; tout de même, au prix où sont aujourd’hui les tableaux, il ne pourrait pas s’acheter beaucoup de Rembrandt. En ces temps d’innocence et de prospérité, cent quatre-vingt-deux