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Est-il besoin d’insister sur l’inexpérience de Mlle Ida Rubinstein à prononcer les syllabes françaises, fût-ce d’un français moyen-âgeux ? Plusieurs de ses partenaires ne s’en tirent pas mieux qu’elle. Tous les jargons et tous les accens du monde semblaient s’être donné rendez-vous à ces grandes assises de l’ahurissement. Ce poème franco-italien, dans des décors et des costumes germano-russes, a été la confusion des langues, la cacophonie des couleurs, la Babel des styles. Ce qui domine pourtant, c’est cette espèce de somptuosité criarde à laquelle, depuis l’ère des ballets russes, on voudrait habituer nos yeux. La lumière qui aujourd’hui nous vient du Nord est une, lumière crue, aveuglante et blessante. C’est un mélange de brutalité et de préciosité. Disons tout simplement que c’est une invasion de la barbarie. Il est temps qu’elle s’éloigne de nous et reflue vers ses steppes. Nous avons assez humilié devant elle notre goût, notre sens de l’harmonie affiné par des siècles d’art. Ne la laissons pas nous conquérir. La Pisanelle ou la Mort parfumée a porté à ses extrêmes limites et poussé jusqu’à l’absurde la mode chaotique et abracadabrante dont j’ai eu, plus d’une fois ici même, à signaler les fâcheux effets, en racontant les pièces de cet hiver, leurs décors, leurs costumes et leur mise en scène. Si elle en a fait éclater enfin à tous les yeux l’horreur affolante, quel service ne nous a-t-elle pas rendu ? Remercions donc tous ceux qui, pour une part quelle qu’elle soit, ont contribué à monter ce spectacle ; et ne sachant à qui doit aller plutôt notre reconnaissance, louons en bloc la danseuse et le poète, le costumier et le maître de ballet ; félicitons pareillement Mlle Ida Rubinstein, M. G. d’Annunzio et M. Léon Bakst, sans oublier ni M. Ildebrando da Parma, ni M. Wsewolod Meyerbold, ni M. Ingelbrecht, dont les noms, pris à part, sont un peu difficiles à prononcer, mais assemblés font admirablement.


La Comédie-Française est redevenue la comédie errante. Elle va, tout cet été, promener de salle en salle Molière et sa fortune. Pour le quart d’heure, elle est installée à l’Opéra-Comique. Comme spectacle d’inauguration, elle y a donné une reprise du Gendre de M. Poirier qui, paraît-il, n’avait pas été joué depuis quelque temps. Elle a eu grandement raison. Ainsi elle a débuté en plein succès. La pièce a été acclamée, une fois de plus. Elle est de celles sur qui on peut compter en tout état de cause. C’est le chef-d’œuvre, non pas seulement d’un auteur, mais d’un genre, de celui-là même qui a régné pendant plus de trente ans sur nos scènes et auquel nous devons une des plus belles