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saignant et agonisant, réunit ce qui lui reste de souffle et de forces pour réclamer la captive, offrant, pour la possession de cette seule femme, toutes ses richesses, tous ses trésors, ses édiles et ses châteaux et, par-dessus le marché, sa part de paradis. C’est le râle et c’est le rut. Il n’y a qu’un mot qui serve : ce spectacle est répugnant. Cependant nous sommes bientôt fixés sur l’identité de la belle poule autour de laquelle tous les coqs se battent. Les mérétrices, — mot latin qui brave l’honnêteté, — l’ont tout de suite reconnue. C’est une femme de Pise, célèbre sous ce nom de la Pisanelle dans toutes les maisons de débauche. Cette rose a été souillée de toutes les fanges. C’est une fleur de boue et de bouges. Arrive le prince de Tyr qui la prend pour une princesse ! Et survient le Roi qui la prend pour une vertu ! Il n’y a pas de doute que cette « femme aventureuse, » — oh ! combien, et de quelles aventures ! — ne soit la Sainte annoncée par la chanson de la Mendiante.

Sainte, au point qu’à l’acte suivant, dans le couvent de Clarisses où elle fait une retraite, elle édifie toutes les couventines. Pourquoi est-elle au couvent, et à quoi riment de subites réminiscences du cantique de saint François :


Soyez loué. Seigneur,
Pour mon frère le pain ?...


Le prince de Tyr ne craint pas de forcer les portes du couvent pour s’emparer de celle qu’il s’obstine à qualifier de princesse errante. Mais le Roi l’y rejoint et lui plante un poignard dans l’estomac. Ce jeune homme s’émancipe. Il s’émancipe tout à fait.

Le dernier acte est un acte de ballet. Autour de la Pisanelle, des esclaves noirs porteurs de roses exécutent des danses circulaires et, resserrant sans cesse le cercle, ils l’étouffent sous les roses. Ainsi finit la comédie. Des cris, du sang, des danses. Une atmosphère qui veut être à la fois terrible et voluptueuse. Du romantisme exaspéré. Comme dans la Marie-Madeleine de M. MaeterHnck que nous voyions, le mois précédent, sur la même scène, plus que dans Marie-Madeleine, il est probable que tout ici est symbolique. Mais quel est le sens de ces symboles, et quelle en est la suite ? Ont-ils même une suite et un sens, et ne suffit-il pas que le poète en ait amusé sa fantaisie ? Il a assemblé ces images et non d’autres, parce qu’il lui a plu qu’il en fût ainsi. Cette manie que nous avons, nous autres Français, de vouloir toujours comprendre, nous a fait souvent taxer d’indiscrétion et d’irrévérence...