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du Conseil celles de premier majordome, ne cesse de faire servir aux nobles convives des montagnes de mangeailles. Ceux-ci ne cessent de s’invectiver. Et voici ce que nous parvenons à peu près à démêler. Le jeune roi est un bon jeune homme, et sa jeunesse est terriblement exposée dans cette île de Chypre, qui fut dans les temps anciens l’Ile de Vénus et qui, dans les temps modernes, continue. Donc on a hâte de le marier. On lui offre toute sorte de partis, dont plusieurs nous ont paru extrêmement sortables. Mais ce nigaud, qui l’est plus qu’un autre, étant un nigaud mystique, compte sur la venue d’une princesse lointaine et prédestinée, la Vagabonde, dont l’arrivée prochaine lui est annoncée par la voix d’une Mendiante, qui chante ainsi :

Ce n’est pas le saint navire.
Mater ora pro nobis.
C’est la fuste sarrasine.
Alétis, sainte Alétis,
A l’aide. La loi Dieu.

Lasse ! la corde de sparte
A flétri la fleur de lys.
Que le feu grégeois vous arde !
Alétis, sainte Alétis,
A l’aide. La loi Dieu.

Elle est debout. Elle semble
Sainte Hélène au temps jadis.
Tout le peuple une louange.
Alétis, sainte Alétis,
A l’aide. La loi Dieu, etc.


Le Roi a écouté pieusement, dit le texte. Et il a compris, ce qui lui donne tout de suite sur nous une supériorité incontestable. Il dit :


Frère Léon,
elle viendra
sur une fuste
de corsaires, liée
par des cordes de sparte !


Ce n’est là que le prologue. Cela ne fait que commencer. Autre rideau d’autre couleur. Autre décor hallucinant. Nous sommes dans le port de Famagouste. Sur le môle, les corsaires se disputent autour du butin. Ils hurlent comme hurlaient les évêques grecs et latins. Tout le feu des enchères se déchaîne au sujet d’une femme, une captive, la « rose du butin. » Le capitaine Obert Embriac, blessé mortellement,.