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comme avant, un très grand écrivain. Seulement, la Pisanelle n’est pas une très bonne pièce.

Le spectacle commence avant le spectacle. Et c’est d’abord le rideau, un rideau noir et or, qui est offert à notre admiration. Il s’ouvre, et nous apercevons un décor somptueux et criard. Des ors, des bleus, des rouges, des bandes de couleurs violentes qui hurlent d’être rapprochées. Les personnages font comme les couleurs. Que hurlent-ils ? Il paraît que nous sommes à Chypre, au XIVe siècle, à la cour des Lusignan. A la longue table, dont on ne peut démêler si c’est la table du conseil ou la table du festin, sont assis des évêques grecs, des évêques latins, le prince de Tyr, — connétable, régent du royaume, frère de la Reine et oncle du jeune roi, — le jeune roi lui-même, qu’on appelle bizarrement sire Huguet, et la reine mère.

Tout ce monde bâfre et se dispute à bouche-que-veux-tu. Soudain le prince de Tyr s’avance devant le trou du souffleur et débite une histoire fantastique que nous connaissons bien, pour l’avoir lue dans Mérimée : c’est la Vénus d’Ille. Un garçon, le jour de ses noces, passe son anneau nuptial au doigt d’une statue de Vénus. La nuit, l’amante de pierre vient réclamer la place qu’usurpe l’épouse de chair. Mais pourquoi avoir refait le récit que le conteur de chez nous avait porté à ce point de perfection, après quoi on ne peut plus que le gâter ? Il faut dire que la pièce est écrite directement en français par M. d’Annunzio ; et c’est un tour de force devant lequel on ne peut que s’incliner : il est hors de doute que bien peu, parmi nos poètes et auteurs dramatiques, seraient capables d’écrire une pièce en italien et moins encore s’y enhardiraient. Ce français du poète italien n’est pas le français de nos jours, c’est le français du moyen âge, ou peut-être de la Renaissance. Non, nous ne jouerions pas cette difficulté d’écrire tout un poème dans l’italien de Dante ! M. d’Annunzio, qui a, visiblement, une connais. sauce très approfondie de nos vieux auteurs, — ce qui est encore à son honneur et constitue à la gloire de notre littérature un délicat hommage, — s’est fait un langage composite où se retrouvent des mots d’autrefois, des tournures d’aujourd’hui et des italianismes ; cela ressemble aux vers latins que nous élaborions jadis avec des centons de provenances diverses. Et il va sans dire que c’est très supérieur aux vers latins que nous perpétrions, pauvres écoliers ; mais cela reste factice et conventionnel. L’impression est celle qu’auraient pu avoir des contemporains de Virgile ou de Claudien, en lisant des vers de Sannazar ou d’Ange Politien.

Cependant, le prince de Tyr, qui cumule avec les fonctions de président