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ni la répétition générale pour porter aux nues l’auteur, les acteurs, le directeur et le couturier. Si, jadis, elle a rendu des- arrêts, elle se les fait bien pardonner : elle ne rédige plus que des bulletins de victoire, et, pour plus de sûreté, elle les publie avant la bataille. Encore trouve-t-elle le moyen de se surpasser, dès que le snobisme se met de la partie ; alors son enthousiasme ne se contient plus : la borne est franchie, il n’est plus de limites. Pour les auteurs de chez nous, les superlatifs usités lui suffisent ; mais, s’il s’agit de poètes, de musiciens, de ballerines et d’acrobates étrangers, elle en invente. Elle renchérit sur l’hyperbole. Du délire elle tombe dans la pâmoison. Ainsi en a-t-il été, toutes ces années dernières, lorsque revenait la « Grande saison, » qui est, comme bien on pense, la saison étrangère. Les onze mois et demi de l’année avaient été tout à fait négligeables ; une quinzaine, à elle seule, allait nous apporter la révélation. Enfin nous allions savoir ce que c’est que l’art dramatique !...

Ce qu’il y a d’agréable, avec les Parisiens, c’est que leurs engouemens durent peu. Leurs folies sont de courtes folles ; ils ont vite fait d’en revenir : ils s’en amusent et s’en raillent eux-mêmes. Nul ne met plus qu’eux d’ingénuité et de bonne grâce à se laisser duper ; mais nul ne sait plus prestement se ressaisir. C’est ce qui vient d’arriver. Ils se sont aperçus qu’on les mystifiait : ils ont mieux aimé en rire que s’en fâcher. Ç’a été un accès de franche gaité. Tels de nos confrères, célèbres pour leur magnifique indulgence, se sont souvenus qu’ils étaient gens d’esprit, et Français, nés moqueurs. Un détail de mise en scène avait, le premier soir, contribué à accentuer la déroute. Les personnages, placés au second plan, pouvaient s’époumoner à plaisir : leur voix se perdait dans les frises, il n’en parvenait rien dans la salle. Cela produisit un effet d’énervement. D’abord, on tendit l’oreille : puis on cessa d’écouter : on assista au spectacle, comme à une pantomime coupée de hurlemens. Cela permit, dans les comptes rendus, de réserver la valeur du poème : on ne l’avait pas entendu, et il pouvait être fort beau. On couvrit de fleurs M. d’Annunzio, autant qu’il en avait lui-même couvert sa Pisanelle. Depuis lors, l’erreur de mise en scène a été réparée. On a entendu les vers, ou la prose, ou la prose en vers, ou les vers en prose de la Pisanelle ; car, du temps de M. Jourdain, tout ce qui n’était pas vers était prose ; mais nous avons bien changé tout cela. Même on a pu lire le texte imprimé. La pièce ne s’en est pas trouvée sensiblement éclaircie. L’impression première a subsisté. Évidemment, cet échec ne porte à la brillante réputation de M. d’Annunzio aucune atteinte. Celui-ci reste, après