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aux principes de la guerre que de faire une marche de flanc devant une armée en position, surtout lorsque cette armée occupe des hauteurs au pied desquelles on doit défiler.» — « Un mouvement enveloppant d’une partie aussi considérable, écrit le général Palat, exécuté à une distance insignifiante des forces ennemies en position, un aussi brusque changement de lignes d’opérations, quand la ligne en arrière n’est assurée qu’incomplètement, enfin une marche de flanc opérée à découvert pendant plusieurs heures, sans diversion pour occuper l’adversaire ailleurs, tout cela constitue assurément une des opérations les plus scabreuses dont l’histoire de la guerre fasse mention[1]. » Ce n’était pas cependant l’inconvénient principal de cette manœuvre : l’armée allemande se déployait fronte inverso, le dos tourné vers Paris, les Français étant entre elle et l’Allemagne, sans autres communications que deux ponts sur la Moselle ; elle était exposée en cas de revers à être cernée sur un territoire ennemi, à travers un pays accidenté, couvert de bois aboutissant par des défilés à des ponts peu nombreux et de solidité douteuse. Ne concluez pas à l’incapacité, ni à l’ignorance ; ce n’était qu’une orgueilleuse assurance dans la victoire et le dédain de l’adversaire ; ils semblaient dire : « Nous ne nous astreignons pas aux règles, parce que nous vous supposons hors d’état de profiter de leur violation. » Ils étaient persuadés, quoi qu’ils fissent, qu’ils étaient invincibles.

Ces ordres étaient à peine rédigés qu’arrivent au prince Frédéric-Charles des renseignemens de la Garde annonçant qu’on voyait une masse d’hommes comprenant les trois armes, descendant de Saint-Privat sur Sainte-Marie et que la hauteur de Saint-Privat était fortement occupée par nous. D’autres renseignemens confirmèrent cet avertissement de la Garde. Le prince comprit combien serait imprudente une attaque isolée du IXe corps sur Amanvillers, qui n’était pas la droite, mais le centre de nos positions : il prescrivit à Manstein de renoncer à toute attaque jusqu’à ce que la Garde fût en mesure de le soutenir et il envoya au XIIe corps l’ordre de se diriger vers Sainte-Marie.

Mais un chef de corps prussien n’en fait jamais qu’à sa tête. Manstein ne pouvait pas, à cause des bois de la Cusse, se rendre

  1. Stratégie de Moltke en 1870.