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presque le dernier vestige de deux siècles de gloire et de prospérité des Francs en Terre Sainte. Les autres édifices de la ville encore aux mains des chrétiens, ainsi que les châteaux des Teutoniques et des Hospitaliers, succombèrent presque en même temps aux attaques des Sarrasins. Amadi parle de cette maison des Hospitaliers comme d’un édifice fort et superbe. La grande salle, qui avait encore servi au couronnement du roi Henri de Chypre, avait trois cents coudées de long. Cette vaste demeure en ruines fut plus tard reconstruite pour le fameux émir Fackr ed-din. Toutes les autres belles maisons des Ordres militaires dont j’ai déjà parlé, celles des Communes de Pise et de Venise comme aussi de nombreux couvens d’hommes et de femmes, devinrent de même des monceaux de ruines.

Jadis, lors de la croisade des rois Philippe-Auguste et Richard Cœur de Lion, juste un siècle auparavant, lorsque les chrétiens étaient rentrés dans Saint-Jean-d’Acre après le siège fameux de 1192, le cruel roi d’Angleterre avait fait, malgré qu’on leur eût promis la vie sauve, massacrer en masse les habitans musulmans qui s’étaient rendus à lui. En guise de représailles pour ce crime affreux, qui hantait encore au bout de cent ans les imaginations sarrasines, le Sultan Malek el-Ashraf fit supplicier également la plus grande partie de ses prisonniers, surtout les combattans et les gens âgés. Il fit aussi mettre le feu aux quatre coins de la ville, après qu’elle eut été horriblement dévastée. « Saint-Jean-d’Acre, dit Makrizi, fut entièrement détruite et démolie ; les remparts furent complètement abattus ; on rasa les églises et les édifices les plus considérables. Le reste devint la proie du feu. » — « Ce qu’il y eut d’admirable, dit en terminant l’historien Abou’l Pharadj, c’est que le Dieu très haut voulut que la ville fût prise un vendredi, à la troisième heure, au même jour et au même instant où les chrétiens y étaient entrés du temps du Sultan Saladin. Dieu permit qu’en cette occasion le Sultan reçût aussi les chrétiens à composition et les fit ensuite mourir. Voilà comme Dieu les punit à la fin de leur manque de foi. »

La nouvelle de la prise d’Acre, instantanément répandue au loin par la rumeur publique, sonna comme un glas funèbre parmi les dernières petites cités encore aux mains des chrétiens sur la côte de Syrie. L’effroi de ces malheureuses populations, depuis si longtemps tremblantes sous la menace de cette catastrophe,