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Ses hommes souillèrent de leurs ordures la chapelle. Les chrétiens exaspérés voulurent les châtier. En vain le grand maître Gaudin, le maréchal Bourgognon s’efforcèrent de prévenir par leurs supplications cette catastrophe nouvelle. Cette foule de gens réduits au désespoir, refermant soudain les portes du château, se jeta sur les soldats musulmans qui y avaient pénétré : pas un de ceux-ci ne put échapper ; tous furent massacrés. Les chrétiens, devenus comme fous furieux, allèrent jusqu’à couper les tendons des bêtes de somme que la capitulation leur avait laissées et cela pour les inutiliser. Le drapeau blanc du Sultan, jeté à terre, fut lancé dehors devant les portes avec les cadavres des soldats musulmans. D’après une source, quelques-uns de ceux-ci auraient toutefois réussi à se sauver en sautant du haut de la muraille qui longeait la mer.

Le maréchal Bourgognon, se dévouant au salut de tous, se fit courageusement, après ce drame, conduire en hâte auprès du Sultan et le conjura, après qu’il lui eut dit la brutalité de ses soldats qui avait entraîné leur massacre, de maintenir quand même les articles de la capitulation arrêtée entre eux. Mais Malek el-Ashraf, dans le paroxysme de sa fureur, ne voulut rien entendre et fit décapiter le vaillant maréchal sur place avec tous ceux qui l’accompagnaient. Puis il ordonna de reprendre aussitôt le siège régulier de la maison du Temple durant que le grand maître Gaudin, avec les reliques précieuses, les vases sacrés, les trésors de l’Ordre, réussissait à se sauver de nuit, à Sidon d’abord, puis à Chypre.

Les chrétiens, demeurés dans la forteresse, apprenant le supplice infligé au maréchal et à ses compagnons, comprenant que leur dernière heure était venue, résolurent de mourir sans prêter l’oreille à aucune nouvelle proposition de capitulation. Un premier assaut fut repoussé avec l’énergie du désespoir. Alors les assiégeans creusèrent des mines. Bientôt les murs entièrement ruinés n’offrirent presque plus de résistance. Un second assaut fut immédiatement inauguré, mais, à ce moment même, l’énorme et puissant édifice, miné de toutes parts, ébranlé par le choc des pierres lancées par les catapultes, s’écroula avec un bruit formidable, ensevelissant sous ses ruines musulmans et chrétiens. Les morts furent innombrables, de trois à sept mille suivant les auteurs. Cette ultime catastrophe eut lieu le 28 mai. Ainsi tomba le dernier boulevard de Saint-Jean-d’Acre,