de profondeur. A chaque angle s’élevait une grosse tour surmontée d’un lion de cuivre richement doré, de la grandeur d’un bœuf. D’autres fuyards s’étaient réfugiés et barricadés dans le palais même du grand maître, d’autres encore dans la maison forte des Teutoniques, aussi dans le château ou grand manoir des Hospitaliers. Partout dans ces fortes maisons, forteresses véritables, parfaitement armées, les chrétiens réfugiés, sachant quel sort les attendait, opposèrent une résistance désespérée, et les vainqueurs, à leur grande déception, alors qu’ils avaient pu croire un moment que toute lutte était terminée, se virent, au soir du 19 mai, contraints de recommencer une bataille terrible. Celle-ci devait se prolonger plus de dix jours encore. Nous n’avons presque aucun détail sur cette résistance suprême de tous ces malheureux voués à la mort. Ce dut être une effroyable tragédie, car ils se virent contraints de se défendre heure par heure, minute par minute, de jour comme de nuit, contre l’effort incessant de ces masses victorieuses, rendues furieuses par cette prolongation inattendue de la lutte. Chacune de ces forteresses encombrées de réfugiés, entourées par ces milliers de Sarrasins exaspérés, semblait un navire en détresse battu par les flots de la mer. Dans le château du Temple, le soir même de la prise de la ville, pendant que les Sarrasins pillaient et brûlaient partout, les réfugiés, chevaliers et prêtres, avaient barricadé les portes et s’étaient mis en défense, cherchant surtout à organiser le passage presque impossible dans l’île de Chypre. Le maréchal de l’Ordre, Bourgognon, et le nouveau grand maître, Thibaut Gaudin, qui venait d’être élu en remplacement de Guillaume de Beaujeu, firent réunir près des murs toutes les embarcations, mais il était trop tard.
Longtemps encore ces désespérés luttèrent. Enfin, soit qu’ils n’eussent plus de pain ni d’eau, soit que les assiégeans fussent à bout d’énergie, on entra en négociations. Le Sultan fit offrir aux défenseurs la vie sauve et la libre sortie sans armes avec un vêtement pour chacun. Ces propositions si dures furent acceptées. Le Sultan, après qu’il eut envoyé aux chrétiens de la maison du Temple un drapeau blanc en signe de sa protection, leur expédia un émir, à la tête de quelques centaines de soldats qui devaient surveiller la stricte observation des conditions de la capitulation. Mais ce chef se conduisit avec la dernière brutalité vis-à-vis des jeunes gens, garçons et filles, enfermés au château.