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et de commerce des Peruzzi éprouva de graves pertes dans cet ultime désastre des établissemens chrétiens de Syrie.

Le grand historien catalan quasi contemporain, Muntaner, parlant du célèbre aventurier Roger de Flor, qui fut le premier chef des fameux Almugavares ou routiers catalans lors de leur grande expédition en Orient aux débuts du XIVe siècle, raconte ce qui suit : « Roger de Flor dans sa grande jeunesse ayant été reçu frère Templier se trouva, avec la grande nef « le Faucon » que l’Ordre lui avait confiée, dans les eaux de Saint-Jean-d’Acre lors du siège insigne de 1291. Durant le drame final, alors que tous les derniers guerriers latins de Syrie, chevaliers des trois Ordres ou nobles chypriotes, se faisaient héroïquement hacher pour permettre à la foule des vieillards, des femmes, des enfans, de s’embarquer, le Templier Roger, après s’être distingué, durant le siège, par divers exploits, après avoir pris un étendard et tué de sa main le chef ennemi, ne rougit point, paraît-il, d’extorquer aux malheureuses dames chrétiennes qui se réfugiaient à son bord des sommes considérables, fondement de son immense fortune future. Chassé du Temple pour cet acte infâme, accusé surtout d’avoir soustrait et gardé l’argent de l’Ordre dans le tumulte de cette catastrophe, forcé de fuir devant les poursuites du grand maître, dénoncé par ce dernier au terrible pape Boniface, il fut contraint pour son salut d’abandonner sa nef dans le port de Marseille et de se réfugier à Gênes. »

Tandis qu’une partie des habitans et des défenseurs d’Acre réussissait ainsi à grand’peine, à travers les affres de la mort, à se réfugier en Chypre ou en Arménie, où beaucoup d’entre eux se fixèrent, que beaucoup d’autres aussi quittèrent bientôt pour retourner en Italie, leur patrie, une autre portion, infiniment plus considérable, surtout composée de femmes, d’enfans, de vieillards, de prêtres, de moines, de religieuses, était barbarement massacrée dans les maisons et les rues de la ville. D’autres subissaient les plus brutales violences ou étaient entraînés en captivité, après avoir été liés nus en longues et lamentables chaînes. Surtout, les femmes les plus belles, les enfans les plus gracieux étaient mis à part pour le harem du Sultan et les marchés du Caire par ces vainqueurs sans pitié. Qui dira les lamentations infinies, les pleurs, les souffrances inexprimables de tous ces infortunés réunis dans une même catastrophe sans