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sarrasin, le reste des assaillans se rua sur la barbacane placée entre la première et la seconde muraille et l’occupa aussitôt. Là les vainqueurs se séparèrent en deux groupes : le premier, s’engouffrant sous la porte de la Tour Maudite, marcha sur l’église Saint-Romain, où les Pisans avaient dressé leurs machines de jet ; l’autre se précipita à nouveau dans la direction de la Porte Saint-Antoine où combattaient encore beaucoup de chevaliers chypriotes et syriens. Ceux-ci durent céder à ce torrent furieux jusqu’au moment où le grand maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, et celui de l’Hôpital, Jean de Villiers, fussent accourus à leur secours avec une douzaine de chevaliers tout au plus. Longtemps cette lutte inégale se poursuivit héroïquement, mais l’ennemi était trop nombreux. Assaillis par des décharges de feu grégeois, par une pluie incessante de grenades jetées à la main qui éclataient en provoquant d’horribles blessures, surtout par une effroyable pluie de flèches qui obscurcissaient littéralement l’atmosphère, ces héros finirent par succomber presque jusqu’au dernier. Le maitre du Temple, atteint à l’épaule droite, au défaut de la cuirasse, par une flèche, fut avec grand’peine entraîné loin du combat et transporté à la maison de son Ordre où il expira peu après. En le voyant partir, ses compagnons de lutte avaient cru qu’il fuyait. Il avait dû arracher la flèche de sa blessure et la leur montrer, puis, s’évanouissant, il s’était affaissé et on l’avait emporté déjà mourant. II ne fut nullement traître comme l’ont affirmé à tort diverses sources, mais, bien au contraire, mourut en héros. Ce fut alors un affreux massacre. Des Templiers, il n’en survécut que dix, des Hospitaliers seulement sept. Aucun Teutonique n’échappa. Diverses sources célèbrent leur admirable courage. De même le grand maître de l’Hôpital, Jean de Villiers, fut aussi grièvement blessé, mais lui, du moins, put être transporté sur un navire et échappa. Quant à Mathieu de Clermont, qui, par des miracles de bravoure, avait réussi, frappant d’estoc et de taille, à remonter tout le flot furieux des ennemis entrant par la Porte Saint-Antoine, puis à le descendre en sens contraire, il succomba enfin près de la rue des Génois où il rendit l’âme. Tous ces divers chiffres sur les pertes des divers Ordres de chevaliers sont, du reste, contredits par les indications de quelques autres documens contemporains qui parlent entre autres de Templiers renégats ayant vécu au Kaire après la prise d’Acre.