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Puis, accablés par ces fatigues surhumaines, ils s’abandonnèrent jusqu’au lever du soleil à quelques heures d’un trop précaire repos. Durant ce temps, la plupart de leurs chefs se réunissaient avec les autorités de la cité en un conseil suprême dans la maison de l’Hôpital, tandis que les autres faisaient armer en hâte dans le port les quelques navires et barques disponibles pour tenter de sauver au moins les vieillards, les femmes, les enfans qui étaient encore dans la ville.

Cette dernière tentative ne pouvait guère aboutir, car les bâtimens génois et autres encore réunis dans le port étaient de dimensions beaucoup trop faibles. En outre, la mer était bien trop agitée pour qu’on pût tenter avec succès une pareille opération. L’assemblée fut néanmoins fort encouragée par une nouvelle magnifique harangue du patriarche, qui supplia les assistans d’avoir confiance et prédit encore la victoire en paroles chaleureuses. Une messe solennelle fut célébrée, puis on communia non moins solennellement, puis on prit en commun le repas du soir. Alors toute l’assistance, tous ces rudes guerriers préparés à une mort certaine, se donnèrent en pleurant le baiser fraternel et prêtèrent au milieu des larmes le serment de résister jusqu’à la mort. Puis ils coururent en hâte aux remparts, ayant repris des forces nouvelles, prêts à repousser avec fureur le nouvel assaut des Sarrasins. Mais le sauvetage espéré des femmes et des enfans fut, cette nuit, impossible. Dès le lendemain matin, 17, tous ceux qui avaient été embarqués pour aller à Chypre durent redescendre à terre, tant l’état de la mer rendait pour le moment toute fuite impraticable.

La journée du 17 semble s’être passée de part et d’autre dans une sorte de languissante inaction. Ce fut comme la veillée suprême et douloureuse. Le soleil se leva le 18 mai dans une atmosphère sombre et brumeuse. Aux premières lueurs de l’aurore, toute l’immense armée ennemie, au milieu d’un tumulte extraordinaire, se lança de nouveau à l’assaut. Ce fut, dès le grand matin, le même ouragan infernal de furieux cris de triomphe alternant avec le son des trompettes de guerre et des tambours portés à dos de chameaux, destinés à étourdir les oreilles des chrétiens, tandis qu’à la tête des colonnes d’assaut se précipitaient des troupes de renégats, de fakirs fanatiques, de derviches aux longs cheveux noirs leur couvrant les épaules. Toute l’armée assaillante était divisée en cent cinquante sections