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portant une machine de trait qui lançait des pierres sur nous et sur nos tentes. Ce navire nous était insupportable, mais une nuit, il s’éleva un très fort vent qui le ballotta à tel point que la machine fut complètement disloquée et ne put plus fonctionner. Une nuit où brillait un magnifique clair de lune, — c’était la nuit du 15 au 16 avril, — les Francs entreprirent une sortie contre nous par la Porte Saint-Lazare, et, surprenant notre armée, ils pénétrèrent jusque parmi nos tentes ; repoussant devant eux nos avant-postes, ils nous attaquèrent ainsi avec la dernière violence jusque dans notre camp ; mais ils s’embarrassèrent dans les cordes des tentes ; un des leurs, un chevalier, tomba dans la fosse d’aisance d’un de nos émirs ; il y fut massacré ; on eut beaucoup de peine à se défaire de ces fougueux assaillans ; à la fin, cependant ils s’aperçurent que nous étions plus nombreux qu’eux et les guerriers de Hamah les obligèrent à rentrer en désordre dans la ville après qu’on en eut tué un grand nombre. Le lendemain, au point du jour, Malek el-Muzaffar, le prince de Hamah, mon père, fit suspendre les têtes de plusieurs de leurs chefs aux cous des chevaux qui leur avaient été pris et envoya au Sultan ce sanglant butin. »

Les Gestes, à propos de ce combat, disent que les chrétiens s’efforcèrent de jeter du feu grégeois dans les boisages du camp ennemi, mais que l’officier intitulé le vicomte du port, qui commandait cette manœuvre, manqua son coup. Le jet trop court endommagea simplement les propres machines des assiégés. Une autre sortie entreprise presque aussitôt après par la Porte Saint-Antoine sous la protection d’une nuit sombre, échoua complètement parce que les assiégeans éclairèrent immédiatement cette obscurité de leurs feux innombrables. Il y eut environ deux mille morts de chaque côté, ce qui paraît encore bien exagéré.

Toutes ces infortunes de guerre, les terribles pertes subies par les assiégés dans leurs rencontres avec l’armée si puissante du Sultan, tellement plus nombreuse, et cela sans qu’ils pussent recevoir le moindre renfort, les fatigues surhumaines occasionnées par le service de garde aux remparts, service qui ne cessait pas une minute, ni de jour ni de nuit, la ruine déjà commençante, sous le jet incessant des blocs géans et sous l’action non moins incessante des mines, de nombreuses tours et de non moins nombreuses sections des murailles, toutes ces