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« Le siège d’Acre, dit Abou’l Mahaçen, commença le jeudi, quatrième jour du mois de rébi second. On y vit combattre les guerriers de toutes les contrées de la terre alors connue. L’enthousiasme des Musulmans était tel que le nombre des volontaires dépassait de beaucoup celui des troupes régulières. » Ludolf de Suchem dit non sans exagération que l’immense armée du Sultan comptait six cent mille combattans, que quarante jours durant, soixante machines lancèrent à toute volée des pierres sur la ville, que les flèches volaient si dru que, d’après un témoin oculaire, un javelot lancé du rempart fut incontinent fendu en mille morceaux par elles !

Chaque jour les Musulmans de blanc vêtus se précipitaient à l’assaut des murailles, pareils à une forêt de lances, hurlant leurs imprécations et leurs furieux cris de combat. Une musique guerrière assourdissante, terrifiante, venait grossir encore cette clameur bestiale universelle, excitant follement l’ardeur des combattans qui luttaient ainsi plusieurs heures durant. La bataille se terminait presque constamment par la victoire des assiégés. C’est pourquoi ceux-ci, ainsi que le déplore pieusement le récit peut-être bien très exagéré d’un témoin oculaire, Arsénius, se livraient journellement, malgré ces circonstances si effarantes, malgré le péril si pressant, à toutes sortes de réjouissances et d’orgies dans les tavernes et les maisons mal famées, « car ils ne pouvaient imaginer que leur fin fût si proche, si effroyablement certaine, et cependant aucun doute n’était possible à la vue de cette énorme armée de siège qui étreignait cette malheureuse cité depuis des jours et des jours déjà. »

Abou’l féda, qui combattait, je l’ai dit, dans l’armée de son père, le brillant prince de Hamah, raconte ce qui suit, rendant hommage à la bravoure des Francs : « Leur ardeur, dit-il, était telle qu’ils ne daignaient même pas fermer les portes de la ville. Les troupes de Hamah étaient, comme à l’ordinaire, placées à l’extrême droite des lignes de l’armée assiégeante ; nous avions la ville en face et la mer à notre droite ; près de nous étaient postées des barques chrétiennes protégées contre le feu grégeois par des madriers et des mantelets de peaux de buffles ; leurs frondeurs nous inquiétaient à coups de javelots et de traits d’arbalète ; il fallait nous défendre à la fois des attaques de la garnison et de celle des vaisseaux ennemis contre notre aile droite. Un jour, les Francs firent approcher de nous un navire