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eurent pénétré dans la grande plaine qui enveloppe Saint-Jean-d’Acre et terriblement ravagé cette riche banlieue de la capitale chrétienne, le 5 avril, le Sultan en personne, à la tête de tout le reste de son immense armée, arriva sous les remparts fameux. Ce jour-là, ces forces colossales se trouvèrent définitivement réunies. Il est impossible d’évaluer même approximativement leur nombre, qui était certainement énorme. Les chiffres donnés par les écrivains contemporains varient infiniment entre six cent mille et cent vingt mille guerriers tant cavaliers que fantassins. Un chroniqueur anonyme parle de dix émirs commandant chacun à quatre mille cavaliers et deux mille fantassins. M. de Mas Latrie donne les chiffres de soixante mille cavaliers et de cent soixante mille hommes de pied.

Les évaluations varient de même pour le nombre des catapultes et autres machines de guerre que l’armée sarrasine trainait à sa suite. Une source chrétienne donne le chiffre fantastique de six cent soixante-six, uniquement parce que c’était là le nombre mystérieux de l’Antéchrist ! D’autres sources indiquent un nombre beaucoup moins élevé. Abou’l Pharadj parle de trois cents. Un autre chroniqueur dit qu’il y en avait quatre-vingt douze, ce qui serait déjà formidable. Une partie, parait-il, provenait de celles qui avaient été prises auparavant sur les Francs. Deux jours seulement après l’arrivée de l’armée, toutes ces machines se trouvaient en place, grâce à la formidable activité de ces milliers de guerriers. Déjà quatre jours plus tard, le 12 avril, complètement installées et montées, elles commencèrent à battre furieusement la haute muraille chrétienne. Parmi les plus puissantes de ces machines colossales, outre la Victorieuse ou « Mansurije, » dont j’ai parlé déjà, on montrait la « Furieuse, » opposée aux Templiers, une troisième encore opposée aux Hospitaliers, une quatrième opposée à la Tour Maudite. Abou’l Pharadj dit que l’armée assiégeante comptait des milliers de mineurs. Devant chaque tour on en avait disposé mille qui, au moment de l’assaut, devaient les attaquer en sapant leurs fondemens. Abou’l Mahaçen, autre historien excellent, dit que, parmi les machines de siège, il y en avait de si colossales et de si puissantes qu’elles lançaient des quartiers de roc pesant un quintal, même davantage. Les Musulmans eurent, par ce puissant moyen, bientôt fait de pratiquer des brèches en différens endroits.