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bœufs pour son transport. Cette formidable machine avait nom « la Victorieuse, » al’ Mansurije. Le trajet jusqu’à Acre fut infiniment pénible, grâce au plus terrible, au plus inclément des hivers. Une pluie glaciale tombait incessamment en véritables cataractes. La route était abominable, surtout entre Hesn el Akrad et Damas. Les bœufs, accablés par la rigueur du froid et les chemins si affreux, mouraient en quantité. D’Hesn el Akrad à Acre, la cavalerie mit plus d’un mois à faire le trajet au lieu des quelques jours qu’on prenait d’ordinaire. Les troupes de Hamah prirent place à l’aile droite de l’armée assiégeante. La « Victorieuse » fut disposée en face de la section du rempart confiée à la garde des Pisans.

Cependant, en Egypte, dans la nuit du 24 février 1291, le nouveau Soudan, impatient d’illustrer son règne sur les traces de son père en délivrant la Syrie de la présence des Infidèles, avait réuni en une grande fête au tombeau de celui-ci, dans la Koubbet ou mosquée funéraire dite Mansurije, tous les notables, les savans, les cadis, les docteurs de la Loi et les lecteurs du Koran du Caire. Tous ces vénérables personnages jusqu’à l’aube lurent les livres saints à l’intention de l’illustre défunt. Malek el-Ashraf leur fit faire de somptueuses distributions de vêtemens d’apparat et d’argent. Il ordonna de jeter également de la menue monnaie au peuple et fit d’autres abondantes aumônes. Le 6 mars, il prit enfin la route de Damas, accompagné par son harem qu’il laissa dans cette ville. Avant qu’il ne poursuivît de là sa route vers Saint-Jean-d’Acre, raconte Makrizi, le scheik Scheref ed-din Busiri vit en rêve un inconnu qui récitait ces vers :

« Déjà les Musulmans ont pris Acre et coupé la tête aux Infidèles. Notre Sultan a conduit à l’ennemi des escadrons qui ont réduit en poussière sous leurs sabots de vraies montagnes. Les Turks ont juré au départ de ne laisser pas un pouce du sol aux Francs. »

De même, au moment du départ du Sultan, le cadi Mohi ed-din Abd ez Zahir lui chanta ces vers : « vous, les fils du Blond (le Christ), bientôt la vengeance de Dieu se déversera sur vous, dont il ne subsistera rien ! Déjà Malek el-Ashraf est descendu sur vos rivages. Préparez-vous à recevoir de sa main des coups insupportables. »

Après que, vers la fin de mars, les premiers contingens sarrasins