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la Vie de Kélaoun entre autres, donnent comme origine à l’ouverture des hostilités le fait suivant : « Quelques-uns des guerriers croisés amenés par Tiepolo et Jean de Grailly, dont la solde n’avait pas été payée, fatigués de leur inaction, ayant rencontré dans la campagne de Saint-Jean-d’Acre des paysans syriens musulmans, portant des vivres au marché de la ville, en tuèrent ou blessèrent plusieurs. Atteints par cette sorte de folie sanguinaire qui s’emparait des nouveaux débarqués à la vue des Infidèles, ces hommes parcoururent ensuite bruyamment les divers quartiers de la ville. Parvenus près de l’édifice du Cambio, ils envahirent un des bazars ou fondouks et y massacrèrent plusieurs marchands sarrasins. Quelques chevaliers des Ordres, accourus au bruit, eurent toutes les peines du monde à sauver la vie des autres Musulmans épars dans cet édifice en les prenant sous leur protection pour les conduire au château royal.

Le Soudan, décidé dès longtemps à saisir le plus léger prétexte pour en finir avec Saint-Jean-d’Acre et les derniers établissemens chrétiens en Syrie, ravi de l’incident, assembla son conseil pour délibérer sur cette affaire. Le régent Amaury eut beau lui faire représenter que ces folles agressions étaient le fait non de bourgeois de la ville, mais d’hommes isolés, « appartenant tous à la Croisade » et sur lesquels ni lui ni personne à Acre n’avait d’autorité ; il eut beau jurer au nom du roi de Chypre, son frère que tous, à Saint-Jean-d’Acre, voulaient fermement la paix, le siège de Kélaoun était fait d’avance. Il ne voulut rien entendre. Cependant, ainsi que plus tard les maréchaux de Napoléon, quelques-uns de ses émirs, commençaient à soupirer après le repos, avides de jouir enfin en toute tranquillité des richesses acquises par tant de victoires. On apporta une copie du dernier traité conclu entre le Soudan et la Commune d’Acre ; les articles en furent minutieusement examinés pour y trouver prétexte à quelque conflit. Après mûre réflexion, la plupart des conseillers de Kélaoun estimèrent qu’il n’y avait pas lieu, pour ces sanglantes, mais accidentelles bagarres, à recommencer les hostilités. Tel fut entre autres l’avis de Fath ed-din lui-même, le jurisconsulte qui avait jadis rédigé le traité. « Pour moi, raconte l’auteur arabe Mohi ed-din, je n’avais rien dit jusque-là ; Fath ed-din me demanda mon avis ; je répondis : « Moi, je suis toujours de l’avis du Sultan ; s’il veut