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Après les catastrophes qui venaient de marquer la fin lamentable de la dynastie des Hohenstaufen, la ruine de la puissance impériale et l’anarchie germanique, les seules monarchies dont le Pape pouvait encore implorer le secours en faveur de la Terre Sainte étaient l’Angleterre et la France. De l’Allemagne même, il est à peine question dans les Bulles pour la croisade. Mais, à Paris comme à Londres, Nicolas IV n’obtenait que de belles promesses dépourvues de sanction. Toutes les menaces divines étaient impuissantes en face de cette immense apathie. Les destinées des dernières possessions latines en Orient allaient donc s’accomplir, et les écrivains chrétiens contemporains avouent, avec une rare unanimité, que la terrible catastrophe qui devait les accabler était justement méritée. L’historien arabe Makrizi raconte que les Francs qui venaient d’Occident en Palestine étaient d’ordinaire des aventuriers capables de tous les crimes ! Sans doute ce jugement sévère n’était pas sans fondement. Les chroniqueurs chrétiens sont tous d’accord pour déplorer l’intense-corruption et l’esprit de violence qui régnaient à cette époque dans les derniers établissemens latins d’Outre-mer.

Les bandes que le pape Nicolas avait envoyées de Venise à Acre sous le commandement de l’évêque de Tripoli menaient dans cette ville l’existence la plus dissolue et la plus brutale. Passant les jours et les nuits dans les tavernes et les maisons publiques, ne sachant comment employer leur oisiveté, ou bien, suivant certains récits, parce qu’on ne leur payait pas régulièrement la solde promise, ces aventuriers de la pire espèce se livraient vis-à-vis des habitans à toutes sortes de violences et de crimes. Les agglomérations et exploitations agricoles de la banlieue de la ville, appartenant en majeure partie à des Musulmans, étaient sans cesse pillées et ravagées par eux. Toute résistance était noyée dans des flots de sang. Tantôt c’étaient une trentaine de paysans assassinés, tantôt dix-neuf marchands. Le biographe de Kélaoun va jusqu’à reproduire ce récit probablement faux que les Chrétiens, après le massacre de ces malheureux, voulurent se donner l’apparence du droit, en pendant comme coupables des Musulmans revêtus du costume d’esclaves.

Cette brutale indiscipline des Occidentaux fournit trop tôt au Soudan l’occasion d’une rupture en apparence légitime. Les plus importantes sources arabes et même latines, l’auteur de