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ses richesses et de la multitude de ses habitans, donnait l’impression d’une faculté de résistance extraordinaire, bien au contraire, à l’intérieur, toutes les forces vives de cette cité se trouvaient comme paralysées par les incessantes et souvent sanglantes dissensions entre les chevaliers des Ordres religieux et les marchands italiens ou encore de ceux-ci entre eux et avec ceux des diverses autres nations. Il n’est pas un chroniqueur de l’époque qui ne fasse incessamment allusion à ces interminables querelles qui constituaient pour cette vaste agglomération le plus grave péril et qui devaient finalement la livrer presque sans défense aux coups des Sarrasins maudits. Mais, circonstance peut-être plus douloureuse encore, c’était, dans cette immense population d’origine si variée, le manque absolu de toute moralité qui rendait impossible l’exercice de toute vertu civique ou familiale. Tous les vices se donnaient libre cours parmi cette énorme agglomération de soldats et de trafiquans accourus ici des quatre coins du monde. Tous les récits chrétiens contemporains, toutes les lettres des hauts personnages d’ordre civil ou religieux retentissent de plaintes amères à l’occasion de ces faits lamentables.

Ajoutez, à ces circonstances désastreuses, un véritable épuisement de la jeune génération militaire dans toute l’Europe amené par l’immense déperdition des vies humaines et de trésors engloutis depuis tant d’années dans les luttes pour la Terre Sainte ou dans celles qu’avait entreprises la Papauté pour la destruction des païens et des hérétiques, comme aussi pour la lutte si prolongée contre Frédéric II, puis, après celui-ci, contre Conrad IV et Conradin. Enfin, à la suite des constans échecs qui avaient été la seule sanction de bien des espérances, à la suite de nombreuses prophéties dictées par la politique de l’Église, et qui ne s’étaient jamais réalisées, mille voix autorisées avaient commencé à s’élever par toute l’Europe pour critiquer à la fois et la conduite du Pape et tant d’énergies inutilement consumées dans la lutte séculaire pour la croisade. Par ces causes diverses, le zèle qui avait durant des siècles suscité des miracles, était, hélas ! infiniment diminué. Les malheureux débris de la puissance latine en Orient réfugiés derrière les hautes murailles de Saint-Jean-d’Acre n’allaient presque plus avoir à compter que sur leurs propres forces contre l’effort infiniment puissant du monde sarrasin.