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d’Antioche, ainsi que le commandant en chef des troupes du roi de France, puis le duc de Césarée[1], les seigneurs de Tyr[2], de Tibériade et Sidon, le comte de Tripoli et Jaffa, le sire de Baruth ou Beirout, celui d’Ibelin, les seigneurs de Pysan, d’Arsuf et de Vaus, comme aussi les nobles de Blanchegarde. Tous ces seigneurs, ducs, comtes, nobles et barons circulaient par les carrefours de la ville, la couronne d’or en tête (!) avec un appareil royal et chacun en particulier s’entourait, à l’égal d’un roi, de soldats, de gardes et de trabans somptueusement armés, montés sur des chevaux de guerre, merveilleusement ornés d’or et d’argent, chacun s’efforçant de dépasser en luxe tous les autres, et chaque jour c’étaient jeux, tournois et exercices d’armes, toutes sortes de fêtes, de chasses et toutes sortes de divertissemens guerriers, et chacun de ces seigneurs, en outre de son palais et de son château, jouissait de toutes sortes de privilèges et d’exemptions d’impôts.

« Dans cette même ville encore habitaient pour la défense de la Foi contre les Sarrasins le maître et les frères de l’Ordre du Temple, le maître et les frères de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, de même ceux de l’Ordre Teutonique, des Ordres de Saint-Thomas et de Saint-Lazare. Tous ceux-là vivaient dans Saint-Jean-d’Acre. Là était le siège de leurs Ordres, et sans cesse, de jour comme de nuit, ils combattaient avec leurs compagnons contre les Sarrasins[3]. Vivaient encore à Acre les plus riches marchands qui fussent sous le ciel, assemblés ici de toutes les nations de la terre. Là vivaient les Pisans, les Génois, les Lombards, par les maudites discordes desquels Acre fut finalement détruite, car ils se conduisaient tous exactement comme des seigneurs indépendans. Du lever au coucher du soleil on apportait ici toutes les marchandises de l’Univers ; tout ce qui pouvait se trouver d’extraordinaire et de rare dans le monde, on l’apportait ici à cause des princes et des grands qui y demeuraient. »

Tandis qu’en apparence, ainsi qu’il ressort de ce curieux récit, la ville de Saint-Jean-d’Acre, éblouissant le monde du fracas de

  1. En réalité, il n’y en avait pas.
  2. C’était, on vient de le voir, le prince Amaury de Lusignan.
  3. Il est étrange que Ludolf de Suchem ne prononce pas le nom du patriarche ni de tant d’autres évêques, prieurs et abbés de Terre Sainte qui vivaient réfugiés à Acre, dépossédés de leurs sièges.