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Dix-neuf catapultes et quinze cents mineurs viennent à bout de ses formidables murailles.

Une partie des assiégés s’était réfugiée dans l’ile placée à l’entrée du port, dans l’église de Saint-Thomas, mais les vainqueurs les y poursuivirent et les massacrèrent jusqu’au dernier. On compta parmi les morts le frère Templier Guillerme de Cordone, autrefois gardien des Franciscains d’Oxford qui, armé seulement d’une croix, se jeta courageusement à la rencontre de l’ennemi, et aussi Luceta, l’abbesse d’un couvent de femmes qui, tombée dans la part de butin d’un émir, pour échapper à la souillure fatale, réussit par ruse à se donner la mort, tandis que ses sœurs tombaient dans un horrible esclavage. Elle avait, dit la Chronique, persuadé à son maître sarrasin qu’elle était invulnérable. Lui, voulant s’en assurer, la frappa d’un cimeterre et la tua.

Très peu de temps après tombent aussi Nephin, forteresse des Hospitaliers, puis Batroun. Les fugitifs de Tripoli se réfugient en Chypre, à Tyr, à Saint-Jean-d’Acre. Les dernières vieilles cités chrétiennes maritimes de Syrie succombent ainsi les unes après les autres sous les coups des Sarrasins. Leur histoire n’est plus qu’une mort lente, une interminable et inévitable agonie. Les lamentations, les plaintes douloureuses de leurs habitans, adressées à leurs frères d’Occident, ne cessent pas un instant.

Cette même année 1289, Jean de Grailly, capitaine des compagnies françaises de Saint-Jean-d’Acre, entretenues aux frais du roi de France, de concert avec les deux frères prêcheurs dominicains Hugues et Jean, avec l’Hospitalier Pierre d’Hezquam et le Templier Hertrand, se rendirent en toute hâte à Rome pour implorer le secours du Pape et de la chrétienté occidentale. Ils ne rencontrèrent presque partout, hélas ! que d’insuffisantes sympathies. Seul, le souverain pontife, Nicolas IV, mit tout en œuvre pour ranimer le zèle des royaumes de l’Occident. Il fit partout, en Italie comme ailleurs, prêcher ardemment la croisade, promit une flotte de vingt galères de Venise et fournit de larges subsides. Il alla jusqu’à faire négocier en faveur des lamentables restes du royaume de Jérusalem auprès d’Argoun, le Khan des Mongols, auprès du roi Héthoum II d’Arménie, des Jacobites, des souverains mêmes d’Ethiopie et de Géorgie. Le 5 janvier 1291, il adressait à toute la chrétienté, en faveur de la Terre Sainte, une suprême et déchirante prière.