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méens de tous pays entraînent sans doute ce fâcheux résultat que le dogmatisme des uns et des autres s’exaspère, qu’ils abandonnent les uns et les autres la théorie relativiste des Maîtres parisiens que recommandaient par ailleurs un saint Augustin et un Hipparque : ils oublient presque tous qu’un même phénomène peut recevoir deux explications équivalentes et distinctes ; ils affirment presque tous que l’astronome peut atteindre et doit décrire la réalité objective en la déduisant de la métaphysique[1]. — Mais le conflit passionné des deux écoles, parce qu’il finit par mettre en lumière les lacunes et les erreurs de chacune, invite plusieurs savans à inventer un troisième système. Vers 1530, le protonotaire apostolique Celio Calcagnini développe l’idée des Parisiens que la terre tourne en un jour d’Occident en Orient, entraînée par un impetus que Dieu lui a communiqué lors de la création et auquel rien ne met obstacle ; il imagine encore en elle deux autres mouvemens oscillatoires, afin d’expliquer la précession des équinoxes et le flux des marées[2]. Une trentaine d’années avant lui, un jeune Polonais, Nicolas Copernic, traversait l’Europe pour venir en Italie recueillir l’enseignement des maîtres de Bologne et de Padoue, de Ferrare et de Rome ; sans doute y trouva-t-il l’occasion de se familiariser avec les idées de Léonard et de l’École Parisienne. Ce qui est sûr, c’est que ce sont ces mêmes idées qui reparaissent, développées, en son immortel chef-d’œuvre : De revolutionibus cœlestium libri sex[3]. Elles ont été expliquées dès 1539 en la Narratio Prima de son élève Joachim Rhaeticus [1514-1576].

D’Aristote, Copernic retient cette idée que l’univers est une sphère finie et que tous les mouvemens des corps célestes sont uniformes et circulaires. Mais c’est de la Science Parisienne

  1. La théorie relativiste des Parisiens est conservée, à Paris, par Louis Coronel et par Lefèvre d’Etaples : voyez l’Introductorium astronomicum de celui-ci, 1503, les Physice perscrutaliones du premier, 1511. — La théorie réaliste, objective, est reprise par les disciples du Ptoléméen Capuano [l’accord avec l’expérience est le critère du vrai], et surtout par les Aristotéliciens Nifo en 1314 [Aristotelis… de Coelo et mundo libri IV. Venetiis], Fracastor en 1535 [Homocentricorum liber unus], Amico de Cosenza en 1536 [De motibus corporum cœlestium] : pour eux, l’accord avec Aristote est le critère du vrai.
  2. Son livre ne fut publié qu’en 1544.
  3. Le livre ne fut publié par Copernic qu’à sa mort, en 1543, sur les instances du cardinal Schomberg ; Paul III en avait accepté la dédicace. — Copernic est né en 1473. Novara de Bologne a été l’un de ses maîtres.