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de chef d’Etat, peut-être plus encore par scrupule de chrétien. Il a laissé tranquilles les polythéistes, il n’a essayé de les convertir que par des discours et des argumentations, suivant à la lettre le programme tracé par Lactance : à la fin de son règne seulement, il a quitté la controverse pour la menace ; mais cette défaillance tardive ne suffit pas à annuler ses actes antérieurs. S’il n’a pas eu la force de garder jusqu’au bout la même attitude, cela n’implique pas que cette attitude ait été celle d’un comédien.

En fait, il y a eu, au commencement du IVe siècle, une vingtaine d’années où cet idéal de franche et noble tolérance a été réalisé. Ensuite souverains et théologiens y sont devenus infidèles : les lois ont recommencé de punir le crime d’hétérodoxie, et le sang de couler. Mais, de ce que la paix religieuse instituée par Constantin sous l’inspiration de l’Église a été de peu de durée, avons-nous moins à l’admirer ? Ne faut-il pas au contraire la saluer avec une reconnaissance plus émue, revêtue comme elle l’est de cette beauté fragile des choses qui ne doivent avoir qu’une existence brève ? Entre l’antiquité païenne, où les droits de la conscience étaient précaires, — tantôt sauvegardés par une indifférence nonchalante, tantôt méconnus par une autorité tracassière, — et la civilisation médiévale, où ils ont été systématiquement subordonnés à un idéal théocratique, il a existé une courte période où ils ont été reconnus pour la première fois. Les hommes qui ont préparé ou établi ce règne éphémère de la liberté de pensée ne peuvent être méconnus d’aucun parti : pour les chrétiens, ce sont des bienfaiteurs ; pour les libéraux, ce sont des précurseurs.


RENE PICHON.