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Cessons donc d’envelopper dans des appellations uniques des époques et des individualités foncièrement différentes. Tertullien et ses contemporains proclament le droit de la conscience à ne relever que d’elle-même, et ils le proclament dans toute son extension, sans distinguer entre la vérité et l’erreur : voilà le fait. Ce droit, l’auraient-ils respecté ou violé s’ils avaient été les maîtres ? il est vain de se poser la question, parce que le triomphe de leur doctrine était une hypothèse qu’ils n’envisageaient pas, qu’ils ne pouvaient envisager. Tertullien considère comme deux suppositions aussi absurdes l’une que l’autre que le monde puisse exister sans les Césars et que les Césars puissent être chrétiens.

Plus tard, à un moment où la victoire de l’Église est devenue possible et va bientôt devenir réelle, des apologistes comme Lactance s’attachent encore au principe de la liberté, et, par la manière dont ils la revendiquent pour eux, s’engagent implicitement à l’accorder à leurs adversaires en cas de succès : pourquoi ne pas admettre que cette promesse soit loyale ? Est-il donc si extraordinaire que des hommes qui avaient pu toucher du doigt toute l’horreur des supplices infligés pour cause de religion, les aient exécrés tant pour les autres que pour eux-mêmes ? n’est-il pas naturel qu’après avoir traversé une si atroce tourmente, ils aient aspiré à l’indépendance et à la tranquillité, sans rien de plus ? est-il incroyable qu’ils aient, non seulement accepté, mais aimé un état de concorde fraternelle, où il n’y aurait plus ni persécuteurs ni persécutés, et vers lequel les portait la douce morale de l’Evangile aussi bien que leur conception hautement spiritualiste du culte dû à Dieu ? On ne peut douter de leurs paroles à moins de taxer de mensonge, a priori, toutes les déclarations de pardon et de paix, ce qui est tout de même d’une psychologie bien misanthropique.

Nous croyons donc à la sincérité des docteurs chrétiens du IVe siècle, et nous croyons aussi à celle de Constantin. S’il avait eu des arrière-pensées de représailles contre les païens vaincus, il est probable qu’il ne les eût pas ajournées. Il était tout-puissant ; il était emporté, brutal même, et l’opinion acceptait assez facilement les volte-face du despotisme pour qu’il n’eût pas à craindre de la heurter en retournant contre le paganisme les prohibitions dont celui-ci avait frappé le christianisme. S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a cru ne pas devoir le faire, par probité