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dans cette véhémente philippique, — un quart de siècle après que Lactance avait si hautement flétri les persécuteurs païens, et que Constantin avait désavoué toute politique persécutrice. On peut mesurer le chemin parcouru, — et le regretter ; et l’on comprend, dès lors, le raisonnement qu’ont fait bien des auteurs modernes : si l’Église chrétienne et l’Empire chrétien ont aussi vite renoncé à la tolérance, c’est qu’ils n’y tenaient pas, qu’ils ne l’aimaient pas pour elle-même ; elle n’a été pour eux qu’un abri provisoire, qu’ils ont jeté bas dès qu’ils se sont crus assez forts pour combattre ouvertement. Les revendications des apologistes ne sont qu’un trompe-l’œil ; l’édit de Milan, qu’un subterfuge. Le christianisme n’a jamais voulu que la domination : tant qu’il a désespéré de l’avoir, il a demandé la liberté, faute de mieux ; quand il a pu dominer à son tour, la liberté l’a gêné, et il l’a sacrifiée.

Qu’il y ait dans cette façon de prendre les choses une apparence de vérité, nous n’en disconvenons pas, — mais une apparence seulement. Incriminer ainsi rétrospectivement les intentions de ceux qui ont plaidé au IIe et au IIIe siècle pour la tolérance religieuse, c’est leur faire un procès de tendances, — comme on pourrait en faire à tous les novateurs et réformateurs. Car enfin rien n’est si commun dans l’histoire que l’exemple d’une minorité qui, libérale dans l’opposition, devient tyrannique en s’installant au pouvoir, et il serait peut-être exagéré de conclure de sa tyrannie à l’insincérité de son libéralisme. Les disciples de Voltaire et de Diderot, lorsqu’ils ont été les maîtres, n’ont guère respecté la liberté de pensée : est-ce une raison pour affirmer que Diderot et Voltaire mentaient quand ils soutenaient que la pensée doit être libre ? On ne peut s’armer d’une pareille défiance sans professer un pessimisme excessif, — disons aussi : sans simplifier l’histoire outre mesure. Ceux qui raisonnent de la sorte ont l’air de se figurer une secte religieuse, ou une école philosophique, ou un parti politique, comme une seule et même personne dont l’existence est homogène, et dont on a le droit de suspecter la bonne foi si l’on relève des contradictions entre ses paroles du début et ses actes de la fin. En réalité, les hommes qui ont fait la Terreur ne sont pas ceux qui ont écrit l’Encyclopédie, et de même la génération qui a applaudi en 320 aux décrets contre le paganisme n’est pas celle qui, en 250 ou en 300, demandait la liberté des cultes.